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L. DAURIAC.le criticisme et les doctrines philosophiques

monde, absolument libre, créateur d’êtres imparfaits, revêtus néanmoins d’un infini libre arbitre. C’est ce qui arriverait si, dans la suite du temps, le criticisme devait recueillir le suffrage de tous les esprits cultivés.

Un hégélien sourirait de nous entendre risquer une hypothèse aussi peu vraisemblable et il rappellerait aux criticistes l’arrêt prononcé contre eux par M. Fouillée. Mais ce serait au tour du criticiste de sourire, car l’arrêt prononcé par Hegel en faveur de l’hégélianisme a été cassé par la postérité.

Si toutes ces suppositions restent permises, c’est qu’on ignore quelle loi d’évolution interne préside aux destinées de la philosophie. On ignore même si l’apparition d’un nouveau système ne coïncide pas précisément avec la manifestation d’une nouvelle loi, d’une nouvelle forme du déterminisme mental. Allons jusqu’au bout de cet aveu d’ignorance. Non seulement ces lois nous sont inconnues, mais il nous est impossible de savoir si ces lois existent. Rien n’empêche de croire que c’est la liberté qui est la principale ouvrière des systèmes et que, dans les grandes productions de l’esprit humain, le dernier mot ne saurait appartenir au déterminisme. Cette croyance est celle de M. Renouvier, et ceux qui liront l’Esquisse jugeront sans doute que ce livre est encore l’une des meilleures plaidoiries, des plus étendues, des plus riches en preuves, des plus profondes que l’on ait jamais écrites au service de la philosophie de la contingence.

Lionel Dauriac.