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thèses, et voici qu’on renonce à s’y maintenir. Que va-t-il en résulter ?

Puisqu’il est possible d’unir ensemble toutes les thèses et de les opposer à la série des antithèses, c’est qu’il est impossible d’adhérer explicitement à l’un des termes d’une série, sans adhérer implicitement à tous les autres, et cela en vertu d’une loi analogue à celle de la résonance des sons harmoniques. On a beau, quand on s’avoue déterministe, ne vouloir résoudre qu’un seul problème et ne vouloir se prononcer que sur le mode des liaisons des phénomènes, on se prononce en réalité sur presque toutes les questions fondamentales. Comment assigner des bornes à la série nécessaire des phénomènes ? et comment, après lui avoir attribué l’infinitude, essayer de la suspendre aux décisions intemporelles d’une volonté créatrice ? De Dieu ou de l’infini, lequel des deux cédera la place à l’autre ? Et si le débat se prolonge, la contradiction s’éternise, et parfois, d’indirecte et d’implicite qu’elle était tout d’abord, elle apparaît explicite et directe. À la faveur du déterminisme, l’infinitisme s’est introduit, et l’évolutionnisme aussi, son compagnon décidément inséparable.

Où serait le remède à la contradiction ? Elle serait dans l’option unilatérale ou de la totalité des thèses ou de la totalité des antithèses. Or c’est ce qui n’a presque jamais eu lieu. Les choses ne se sont donc point passées comme elles auraient pu et surtout comme elles auraient dû si la logique avait régné en souveraine.

Il y a dans le nouveau livre de M. Renouvier tous les éléments d’une sorte d’uchronie où il serait question non plus des éléments de l’histoire politique, mais des vicissitudes de la pensée. On pourrait supposer par exemple, comme nous l’avons fait ici même, que l’esprit humain, mis en demeure d’opter entre le sic et le non, d’éliminer l’antithèse pour accepter la thèse, a tenté entre elles une conciliation impossible, et que, depuis l’origine, le scepticisme est resté invincible.

On pourrait supposer que, dès l’origine, on s’est orienté dans une direction rigoureusement moniste, infinitiste, et que tous les philosophes ont marché dans cette voie. C’est ce qui aurait eu lieu si le mouvement commencé par les Ioniens s’était continué sans obstacle.

On pourrait supposer que la lutte entre les thèses et les antithèses s’est rapidement terminée par la victoire des premières. C’est ce qui se serait produit notamment, dans la philosophie moderne, si. Descartes avait aperçu toutes les conséquences impliquées dans l’affirmation d’un esprit affranchi des liens du corps, d’un Dieu distinct du