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système et que presque partout elle se soit fait une place importante malgré les contradictions qui devaient en résulter. On s’explique que la morale de Kant ait subi, même chez ceux qui l’adoptèrent après lui, de si graves altérations. Cousin, Jouffroy, M. Janet prêchent une doctrine d’obligation morale ; mais en greffant l’idée d’obligation sur celle de bien, ils s’exposent à des difficultés presque insurmontables. En effet pourquoi le bien, dont l’acquisition est naturelle à l’animal et se réalise chez lui par le simple mécanisme de l’instinct, devient-il obligatoire pour l’homme ? Parce que l’homme est libre ? D’où le sait-on ? Kant, du moins, fait reposer la liberté sur la loi morale et n’admet pas qu’on puisse la démontrer autrement. Dès lors, faute d’une preuve psychologique du libre arbitre, l’obligation redeviendra incertaine et la morale eudémoniste apparaîtra seule praticable. En résumé, l’opposition du devoir et du bonheur s’est marquée dès l’origine ; elle s’est marquée, s’est développée ; elle n’a pas encore abouti. L’eudémonisme l’emporte toujours, même chez les philosophes qui se feraient un cas de conscience de lui sacrifier la doctrine de l’obligation. Malgré eux et à leur insu, le sacrifice se consomme.

En revanche, presque tous les philosophes, appelés à choisir entre l’Évidence et la Croyance, optent pour la première, ou sinon pour le scepticisme. Kant seul fait exception. Avant lui les philosophes ne soupçonnaient pas qu’il y eût lieu d’opter pour la croyance. Ni Descartes ni les Stoïciens ne le soupçonnaient, aussi la doctrine de l’assentiment volontaire, développée par les Stoïciens, reprise par Descartes, ne devait-elle se faire une place durable dans l’histoire de la philosophie qu’après l’avènement du criticisme.

Le temps et la place nous manquent pour résumer les conséquences de la sixième opposition touchant la classification des systèmes, la conclusion du livre, et la post-face autobiographique : Comment je suis arrivé à cette conclusion. De même nous laissons à d’autres le soin de juger les mérites du livre, de discuter l’exactitude de la « classification systématique », de prouver qu’elle est ou n’est pas conforme à la réalité de l’histoire. Bornons-nous à quelques remarques.

VII. — Si, pour adopter la terminologie de Kant, on donne le nom de thèses aux jugements qui affirment le caractère conscient du premier principe, les bornes du monde dans le temps et dans l’espace, la création, la liberté, le devoir ; si l’on donne le nom d’antithèses aux jugements contraires ; si l’on compare la série des thèses à celle des antithèses, on remarquera que chacune des séries est formée de