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L. DAURIAC.le criticisme et les doctrines philosophiques

logies qui la rapprochent de la doctrine criticiste du libre arbitre. Ou le libre arbitre est une chimère, ou quelque chose dans la nature est exempt de nécessité. Il faut faire à l’indéterminisme sa part, et il ne semble pas que le droit de la lui faire soit interdit par la science. Voilà, selon toute vraisemblance, ce que Charles Fourier a négligé d’approfondir.

Fourier mis à part, l’évolutionnisme est partout vainqueur non pas peut-être d’intention, mais de fait. On sait la préoccupation constante d’éviter le panthéisme, commune aux disciples de Victor Cousin et à leurs adversaires, partisans d’une philosophie chrétienne, inhabiles d’ailleurs, les uns et les autres, à se tirer d’embarras. Ce n’est pas non plus chez Kant qu’on ira chercher des témoignages en faveur de la création ; on en trouverait plutôt en faveur de la thèse contraire. N’a-t-il pas soutenu la « théorie de la descendance dans ce passage de la Critique du Jugement (trad. Barni, t.  II, p. 111) où il est parlé d’une « analogie de formes » entre les êtres, et qui dénoterait « un type commun, une mère commune ; » où, enfin, est reconnu que « chaque espèce se rapproche graduellement d’une autre espèce, depuis celle où le principe des fins semblable le mieux établi, à savoir l’homme, jusqu’au polype, et depuis le polype jusqu’aux mousses et aux algues, enfin jusqu’au dernier degré de la nature que nous puissions connaître, jusqu’à la nature brute, d’où semble dériver, d’après les lois mécaniques (semblables à celles qu’elle suit dans ses cristallisations), toute cette technique de la nature, si incompréhensible pour nous, dans les êtres organisés, que nous nous croyons obligé de concevoir un autre principe ? » Ainsi Kant, de qui la métaphysique, disait-on encore, il y a vingt années, a reçu des coups mortels, lui a fourni cependant et à plusieurs reprises des occasions et des moyens de réparer ses brèches. En effet, l’hypothèse du noumène devait empêcher la critique de porter tous ses fruits ; elle devait la conduire à l’infinitisme, d’abord, plus tard à l’évolutionnisme.

L’évolutionnisme a débuté par être une hypothèse de métaphysique. Depuis Lamarck, ce ne sont plus les philosophes qui seuls la préconisent, mais encore les savants, et ils sont bien près de l’emporter de haute lutte. S’ils l’emportent, et si l’on se souvient de ce que les tout premiers philosophes ont écrit ou enseigné, il sera juste de reconnaître que ce triomphe a été préparé de longue date, qu’entre les adversaires du système de la création et ses partisans la lutte a toujours été inégale, qu’il ne s’est rencontré aucun penseur parmi les illustres pour rompre en visière à l’évolutionnisme, que tous lui ont fait une part et une large part, même Platon, même Aristote,