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immobile du Stagyrite, et il faut bien convenir que la première ne se prête pas comme la seconde à être conçue indépendamment de l’ensemble de ses effets. Le Dieu de Robinet est une abstraction[1] ». De là vient que si l’on a moins égard à la manière dont les choses sont dites qu’aux choses qui sont dites, Robinet se rapproche du baron d’Holbach. Il parle, sans doute, d’une création, mais il entend sous ce mot l’acte d’une cause inconnaissable dépourvue de déterminations intellectuelles ou morales, donc impersonnelle et agissant en dehors de toute finalité. Dès lors, ce n’est plus Dieu qui mène le monde, mais une force aveugle, et c’est ce que les matérialistes, de tout temps, ont soutenu. Cette cosmogonie athée appellera une cosmologie évolutionniste : « Deux êtres voisins dans l’échelle universelle se touchent d’aussi près que possible, d’aussi près que le passage de l’un à l’autre ne puisse admettre ni intermédiaire, ni aucun vide. Cette loi met une telle liaison entre les êtres que chacun est le produit immédiat, précis et nécessaire de celui qui le précède » [2]. Ainsi pense Robinet. Leibnitz aurait approuvé la déclaration et aussi la formule.

L’évolutionnisme va donc s’installer en maître dans la philosophie moderne ? Oui, et les exceptions deviendront de plus en plus rares. Au xixe siècle, l’auteur de la Théorie des quatre mouvements, Charles Fourier, plaidera la cause du libre arbitre humain, « Théiste et anthropomorphiste décidé, clair et naïf », il admettra la création au sens le plus simple de mot[3] et posera trois principes coéternels : « Dieu ou l’esprit, principe actif et moteur ; la matière, principe passif et mû ; la justice ou les mathématiques, principe régulateur du mouvement. » À ses yeux, la création est un acte de démiurge, accompli dans le temps, « dans un temps déterminé et calculable, au moyen d’une double matière préexistante animique et corporelle. Voici encore un point à noter : « Existe-t-il telle chose qu’une liberté pour les âmes, alors que le désordre a, comme l’ordre, sa règle et ses phases prévues, nécessaires ? La pensée de Fourier, sur ce point, n’est pas douteuse. Le domaine de la liberté est réservé, par ce fait que les temps ne sont pas fixés et déterminés rigoureusement, mais seulement dans certaines limites. La liberté se meut dans la sphère de l’exception en toutes choses « humaines ou cosmiques ». Cette théorie de l’exception repose peut-être, chez Fourier, sur des raisons fragiles. Il est impossible cependant de ne pas reconnaître les ana-

  1. P. 158.
  2. Cité par M. Renouvier, Esquisse, etc., p. 159.
  3. P. 164-169.