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placent la perfection non point à l’origine, mais au terme des choses, et c’est par où ils rejoignent nos évolutionnistes contemporains. En est-il ainsi de Parménide ? D’abord, à ses yeux il n’y a point de création ; en outre, lorsque, « dans sa condescendance pour l’opinion et pour l’apparence, il essaye de construire une théorie des phénomènes, il reprend les éléments des physiciens, et s’efforce d’en tirer une espèce de génération du monde[1] ». Il faut remonter jusqu’à Hermotime et Anaxagore pour découvrir la première trace de l’opposition entre la thèse évolutionniste et la doctrine de la création. L’opposition du fini et de l’infini s’était dégagée bien avant. Platon va faire effort pour développer l’idée de création, mais il ne saura pas aboutir, et ses interprètes seront toujours embarrassés de mettre d’accord la doctrine du bien absolu de la République avec celle du Démiurge, qui a reçu dans le Timée de si beaux développements. « Platon, à demi sceptique, cela se voit bien, en tant que pur philosophe, a agité, en pièces détachées avec toutes les finesses du dialecticien et les allures indépendantes de l’artiste et de l’homme en quelque sorte supérieur à son sujet, de nombreuses questions, » où viennent, sous l’influence de la méthode psychologique et de la morale de Socrate, se combiner les vues les plus divergentes, les plus hétérogènes. « Dans ce fond si riche, l’ancienne, la moyenne et la nouvelle Académie, le Néoplatonisme enfin, ont puisé leurs méthodes variées qui s’étendent du doute à l’extase ». Bref, il semble que Platon ait poursuivi moins la vérité pure que « l’apparence acceptable à titre de vérité, à une époque donnée, la vraisemblance et la convenance. » De là vient qu’après Platon tous les philosophes peuvent se réclamer de lui, même les partisans de l’émanation et presque au même titre que ses adversaires[2]. Aristote, lui aussi, devait côtoyer l’idée d’une création pure, mais « l’esprit véritable » de sa philosophie qui est, selon M. Renouvier, évolutionniste[3], devait empêcher qu’il n’allât plus avant dans l’élaboration de l’hypothèse. Aristote n’a-t-il pas déclaré le monde éternel, éternelle aussi la matière ? Et si telle est la pensée du Stagyrite, n’en résulte-t-il pas que « l’évolution dirigée par un principe suprême de finalité est le vrai nom qui convient à sa pure doctrine » [4] ? Après Platon et Aristote, l’évolutionnisme reparaît sous ses différentes formes, mécaniste (Épicure), dynamiste (Zénon), émanatiste (Plotin). Au moyen

  1. P. 113-114.
  2. P. 124.
  3. P. 127.
  4. P. 128.