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les circonstances où la croyance s’est formée si l’auteur a été placé de façon à percevoir lui-même le fait qu’il rapporte. Cette recherche pourra donner un résultat négatif, montrer que l’auteur n’a pas pu percevoir, par suite qu’il n’a pas perçu. Mais si elle montre qu’il a pu percevoir, il ne s’ensuit pas qu’il ait perçu. Rien ne peut prouver qu’une croyance donnée est le produit d’une perception. Si l’on n’a pas de raison spéciale de penser qu’une affirmation est le résultat d’un jugement direct, il est donc sage de la supposer dérivée d’opérations intellectuelles. De ces opérations on peut remonter au jugement simple par le raisonnement suivant :

Tout jugement dérivé produit par des opérations intellectuelles est lié à un jugement simple primitif par un rapport fixe, à condition que l’opération ait été menée correctement.

L’auteur du document est semblable aux hommes qui raisonnent correctement.

Donc le résultat de son opération est lié au jugement d’où il dérive.

Si l’auteur paraît habitué à bien raisonner, l’analogie fait présumer que ses conclusions sont exactes ; la présomption se fortifie quand on constate la concordance entre plusieurs de ses conclusions. Mais pour prévoir toutes les causes qui ont pu vicier le résultat, il faut passer en revue toutes les opérations qui ont pu le produire (abstraction, généralisation, raisonnements de tout genre), afin de se tenir en garde contre les causes d’erreur propres à chacune. Ces précautions sont surtout nécessaires pour la critique des chiffres de statistique qui sont toujours le produit d’un grand nombre d’opérations intellectuelles.

10o Du jugement simple peut-on passer à sa cause ? A-t-on un moyen de décider si un jugement doit être attribué à l’état subjectif de l’auteur, à l’affirmation d’un autre homme ou à une impression directe ? La déclaration de l’auteur n’est pas une preuve. Jamais un homme ne présente un jugement en disant qu’il est le résultat d’un préjugé ou d’une illusion ; rarement il avoue que son jugement est fondé seulement sur l’affirmation d’autrui. Presque tous les récits sont présentés comme si l’auteur avait reçu l’impression directe des faits. Pourtant l’expérience montre qu’aujourd’hui la grande majorité des jugements proviennent de préjugés non vérifiés ou d’affirmations de seconde main ; une induction légitime nous force à croire qu’il en était de même autrefois. L’expérience psychologique seule peut nous enseigner dans quelles conditions un homme est sujet à prendre pour base de jugement une hallucination ou une idée a priori ; les deux causes principales sont la confusion d’esprit et la passion, un