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L. DAURIAC.le criticisme et les doctrines philosophiques

tionnels. Chez les anciens, nous trouvons un essai remarquable de cette tentative dans les systèmes d’Héraclite et d’Empédocle, et c’est par où le matérialisme de ces deux philosophes, cherchant à se déterminer, commence à se détruire. Héraclite appela son principe moteur la Discorde ou la Guerre, et la nécessité de définir le feu, de manière à rendre explicable la génération des êtres, le conduisit jusqu’à ces « personnifications mythiques du genre passionnel » qui devaient prendre chez Empédocle un caractère nettement anthropomorphique. Et maintenant, rappelons-nous que la lutte des réalistes et des idéalistes ne se terminera point avec la philosophie grecque. Elle recommencera pendant le moyen âge et se continuera pendant les temps modernes. Rappelons-nous Descartes et Gassendi. Enfin n’oublions pas que M. Spencer est notre contemporain, qu’il se donne pour le plus intransigeant des réalistes, et nous serons bientôt convaincus que la première et la plus ancienne des antinomies fondamentales joue encore à l’heure actuelle, un rôle prépondérant. Les mots « spiritualisme » et « matérialisme » ne cesseront jamais d’être en faveur en dépit de leur connotation indécise, on aura peine à ne pas y recourir pour marquer le caractère dominant d’une doctrine.

III. — À mesure qu’on se rapproche des origines de la métaphysique, les problèmes cosmologiques et les problèmes cosmogoniques restent confondus. Avant de se demander comment le monde est possible et d’où vient quelque chose, on cherche seulement à expliquer l’ordre de l’univers. Ainsi les premiers philosophes imaginent le chaos, un chaos infini, car il est tout ensemble désordre et indétermination, et ils le posent comme antérieur à tout[1]. Infini est la traduction du mot grec ἄπειρον dont le sens primitif est indéterminé. Ainsi l’entendait Anaximandre. Anaximène, Héraclite et les Ioniens attachèrent à cette expression un sens plus précis ; au lieu de signifier absence de détermination, ce qui reste vague, ils l’amenèrent à désigner l’absence de bornes. Ce moment coïncide avec celui où commencèrent à se dégager l’une de l’autre les deux catégories de quantité et de qualité. Quand la notion de quantité devint objet de conscience distincte, la notion d’infini se fixa pour ainsi dire sur les concepts qui relèvent de la quantité, le temps, l’espace, et la question se posa de savoir s’il faut leur attribuer ou leur refuser l’infinitude. C’est avec Pythagore que s’introduit pour la première fois dans la langue philosophique l’opposition du fini et de l’infini, et le problème ne cessera plus d’inquiéter les métaphysiciens. Les Éléates le résoudront par la négation du non-être, de la multiplicité, et

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