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d’avant Socrate l’épithète commune de physiciens, on aurait tort de ne point apercevoir chez plusieurs les traces d’une tendance dont le développement, s’il ne s’était point arrêté, aurait abouti à l’idéalisme. Ce n’est même pas assez dire, car si l’on prête quelque attention aux doctrines de Pythagore, de Xénophane, de Parménide, « il faudra presque s’étonner de l’énergie spéculative avec laquelle s’est affirmé l’idéalisme dans les hautes écoles de l’antiquité[1] ». Qu’est-ce qu’un idéaliste ? Ce nom paraît convenir à tout philosophe « qui définit les éléments ou principes des choses par des caractères donnés exclusivement en des phénomènes de conscience et d’entendement, alors même que, par hypothèse, ils participeraient de l’existence objective. » À ce point de vue, l’idéalisme des pythagoriciens est incontestable, et il doit en être ainsi, sans quoi les affinités, reconnues par Aristote, entre la doctrine de Platon et celle de Pythagore resteraient sans explication.

Il est plusieurs sortes d’idéalisme ; « la spéculation sur les idées, au lieu de se porter sur les nombres, comme éléments de l’harmonie et de la définition réelle des choses, puis sur d’autres rapports généraux et des qualités exemplaires, ou propriétés spéciales, informant une sorte de matière abstraite et neutre, peut s’élever d’emblée au genre généralissime et gagner le comble de l’abstraction métaphysique. » C’est ce qui est arrivé, dès les origines de la philosophie grecque, avec Xénophane et Parménide ; Platon lui-même par sa théorie du « Bien au-dessus de l’Essence » parait superposer l’éléatisme au pythagorisme. Aristote subit également « l’influence de la spéculation à outrance sur les idées abstraites. Nulle idée ne le cède en abstraction à celle de la pensée de la pensée pure, sans détermination, qui est le point culminant de sa métaphysique[2]. » L’éléatisme s’est donc fait sa part dans l’aristotélisme, mais le Stagyrite a échappé aux contradictions de la doctrine en distinguant Dieu du monde et en n’attribuant au principe suprême qu’une action de cause finale.

L’idéalisme de Platon et d’Aristote est tout intellectualiste, attendu que chez l’un et l’autre, dans le premier principe, l’intelligence domine. On peut cependant concevoir une autre forme d’idéalisme. Schopenhauer par exemple dépouille la volonté de tout attribut intellectuel ; et cette volonté « affligée de la déraison du vouloir vivre » est le Dieu d’un assez grand nombre de pessimistes allemands. On peut encore déterminer le premier principe à l’aide d’attributs émo-

  1. T. I, p. 12.
  2. P. 21.