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L. DAURIAC.le criticisme et les doctrines philosophiques

qui est le lot de la race humaine. Autant de prétextes pour osciller entre le sic et le non et remettre à un lendemain qui n’arrive jamais l’instant de rendre son verdict. Ainsi les choses auraient-elles pu avoir lieu ; chaque système après de vains efforts aurait pu rester à l’état d’ébauche, et chaque philosophe se serait lassé de penser, dans l’impuissance incurable de jamais conclure.

Les choses se sont-elles ainsi passées ? L’histoire est là pour le dire et elle va être interrogée à six reprises différentes, car il est, selon M. Renouvier, six antinomies principales où toutes les autres aboutissent et dans lesquelles pour ainsi dire se décompose le problème de la philosophie.

On le voit, le plan de l’Esquisse résulte des principes mêmes de la philosophie de son auteur. Il lui est imposé par sa propre attitude. Partisan de la contingence, M. Renouvier nie l’évolution progressive de la pensée des philosophes vers une seule et même vérité ; il croit à des oscillations, à des vicissitudes et non à un progrès. Il admet le droit pour tout penseur de préférer à la philosophie de son siècle celle de maîtres beaucoup plus anciens. Il a usé de ce droit pour son propre compte et il pense n’être pas le seul à en avoir usé. Partisan de l’option logiquement nécessaire entre deux propositions dont l’une consiste à nier ce que l’autre affirme, il a construit sa doctrine à l’aide de thèses juxtaposées dont chacune n’a pris place dans le système qu’après l’abandon définitif de l’antithèse correspondante. Il s’est dit à plusieurs reprises et à propos de chacune des questions fondamentales : de deux choses l’une : laquelle ?… et il a librement voté. Il va maintenant interroger les philosophes comme il s’est interrogé lui-même ; de là les grandes divisions de l’Esquisse et les titres des six antinomies : 1o la chose, l’idée ; 2o l’infini, le fini ; 3o l’évolution, la création ; 4o la liberté, la nécessité ; 5o le bonheur, le devoir ; 6o l’évidence, la croyance.

L’aperception distincte de la sixième antinomie était nécessaire au discernement des autres. Nous espérons l’avoir fait comprendre. C’est en effet dans le chapitre consacré à cette antinomie que se dégage l’idée directrice de l’œuvre. Maintenant que cette idée nous est connue, nous la verrons agir, et, à son appel, les documents viendront se ranger à leur place et se grouper dans un ordre nouveau. On sait le questionnaire de l’Esquisse ; il ne reste plus qu’à le résumer en suivant l’ordre des chapitres.

II. — Il est admis que les prédécesseurs de Socrate ont été objectivistes. Zeller le prétend. Néanmoins, malgré les preuves qu’il en donne et dont il s’autorise pour donner à tous les philosophes