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L. DAURIAC.le criticisme et les doctrines philosophiques

Cependant autre chose est dire : « On croit tout ce que l’on veut », ce qui est insoutenable ; autre chose est dire : « On ne croit que dans la mesure où la volonté adhère au jugement. » Descartes a soutenu cette thèse, bien qu’il n’en ait pas su apercevoir toutes les conséquences.

Reste à savoir si la volonté se mêle à toutes nos affirmations. On aurait la preuve du contraire, si l’on pouvait découvrir dans les principes recteurs de l’intelligence quelque axiome universellement adopté comme tel. Mais si l’on cherche, on ne trouvera pas. L’axiome de contradiction tout d’abord a reçu des hégéliens le rude assaut que l’on sait. Stuart Mill, de son côté, n’accepte pas les raisons que l’on a fait valoir en faveur de l’existence d’une logique formelle : donc il n’admet point que le principe de contradiction gouverne l’esprit antérieurement à toute expérience, ce qui équivaut à contester le principe. Et il en est arrivé autant au principe de causalité : car si les uns en concluent que le monde est éternel, les autres en infèrent qu’il a dû commencer. D’où il résulte que cette expression « principe de causalité » est passablement équivoque. Si maintenant l’on insiste et que l’on demande la façon correcte dont il convient de l’interpréter, la réponse variera selon les philosophes. — Mais parmi ces philosophes, les uns ont tort, les autres raison ; les uns tournent le dos à l’évidence, les autres s’inclinent devant elle. — Telle est du moins l’opinion qui a cours, ce qui n’empêche pas les défenseurs de cette opinion d’ignorer de quel côté est l’évidence. Mais ne voit-on pas que chacun la croit de son côté et que l’évidence est décidément le pseudonyme de la croyance ?

Le nombre des points d’assentiment universel en philosophie n’est certes pas aussi grand qu’on se l’imagine. En fait, « l’évidence pratique, qui n’est, en d’autres termes, qu’une croyance imposée à l’esprit et une condition de ses opérations, se réduit à quatre points[1] : 1o l’identité personnelle, par où j’entends ici la liaison de mémoire entre des phénomènes mentals regardés comme fidèlement rapportés les uns aux autres et formant l’unité d’un multiple réparti dans le temps ; 2o l’identité de l’idée, c’est-à-dire la distinction des idées et l’incompatibilité des contradictoires simultanés dans la pensée ; 3o l’identité dans l’espace, ou l’existence d’objets qui y sont donnés comme phénomènes distincts, avec des rapports entre eux de ressemblance et de différence, et des rapports de nombre ou quantité ; 4o le changement ou l’ordre des changements ; la reconnaissance du fait que le devenir de certains phénomènes implique certains autres phénomènes. Les idées de cause et de fin s’appliquent à cet ordre de

  1. T. II, p. 26.