Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
revue philosophique

est en effet le développement, ou plutôt la démonstration d’un nouveau système historique, d’une nouvelle « philosophie de l’histoire de la philosophie ». Elle est cela, et rien autre chose : aussi ne saurait-elle faire double emploi avec les deux manuels, deux livres devenus rares, presque introuvables, et dont la réimpression serait, malgré leur ancienneté, très utile et très opportune. Dans les Manuels, il y a plus de faits que d’idées ; dans l’Esquisse, c’est tout le contraire. Dans les Manuels, l’auteur écrivait pour raconter d’abord et démontrer ensuite, mais brièvement ; dans l’Esquisse il écrit ad probandum.

L’étude qu’on va lire est simplement un essai d’analyse et d’abréviation. Maintes fois on a dû précisément, pour abréger, substituer d’autres formules à celles de l’auteur. Chaque fois cependant, on l’a fait en vue d’éclaircir la doctrine exposée dans l’ouvrage, et sans autre ambition que celle d’être tout ensemble le plus court et le plus exact possible.

I. — Avant de faire connaître l’Esquisse, disons comment l’idée en a pris naissance et tâchons d’en déduire le plan des principes mêmes de la philosophie de M. Renouvier.

L’homme est libre dans ses résolutions et aussi dans ses jugements. Croire c’est vouloir. — N’est-ce que vouloir ? — Voilà l’étrange théorie que l’on prête aux criticistes et que jamais ils n’ont défendue. Cette erreur d’interprétation provient d’une erreur de psychologie. On sait la vieille théorie des facultés, où chacun des pouvoirs de l’âme est présenté comme indépendant des autres. La volonté, l’intelligence, la sensibilité ont chacune leur domaine distinct. L’esprit obéit à des lois nécessaires pendant que la volonté reste libre de n’obéir à aucune. Malheureusement, s’il est vrai que la volonté est exempte de toute nécessité, il ne l’est pas moins que la volonté ne se décide jamais sans motifs. Elle est inclinée par l’intelligence, et celle-ci, par hypothèse, étant toujours nécessitée, on est en grand embarras de comprendre ce qui peut advenir de l’action d’une faculté fatale sur une faculté libre. Laquelle des deux cédera à l’autre sa fatalité ou sa liberté ? Et l’embarras est tel que les psychologues de l’école française oscillent entre deux explications manifestement contradictoires, le déterminisme ou la liberté d’indifférence. D’ordinaire, sans le vouloir ils penchent vers ce dernier parti ; et cela est tellement vrai que les partisans de la vieille psychologie, quand on leur parle d’une volonté qui se mêlant au jugement achève la croyance, comprennent comme s’il était question d’une croyance se portant partout où il lui plaît au gré de ses caprices et sans examen préalable.