Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

homme que je n’ai pas connu a écrit un document avec une intention que j’ignore ; quand même je ne vois pas le motif qu’il avait de mentir, puis-je être sûr qu’il n’en avait pas ? Je ne connais pas tous ses intérêts, encore moins l’idée qu’il en avait, et c’est cette idée qui a dicté son affirmation. L’auteur de la Croisade des Albigeois raconte des massacres horribles d’hérétiques. On dit : « Ses récits sont sincères, car il n’avait pas intérêt à révéler les atrocités commises par son parti. » Mais s’il regarde comme des actions saintes ce que nous appelons des atrocités, n’a-t-il pas cru avoir autant d’intérêt à les exagérer que nous croirions en avoir à atténuer des actes semblables ? — Voilà pourquoi une seule affirmation ne suffit pas à prouver la croyance de celui qui affirme. La sincérité, sera d’autant plus probable que l’auteur aura eu des raisons moins fortes de mentir ou des raisons plus fortes d’être sincère. Or ces raisons ne sont pas les mêmes pour toutes les parties d’une même affirmation ; aussi doit-on analyser chaque affirmation totale pour en dégager les affirmations partielles, comme on a analysé chaque jugement pour en dégager les conceptions. Un homme déclare avoir vendu une terre de 5 arpents au prix de 100 livres. Ce document contient trois affirmations indépendantes : qu’il a vendu la terre, qu’elle contient 5 arpents, qu’il a reçu 100 livres. Il faut les critiquer séparément, car ce ne sont pas les mêmes raisons qui l’auraient fait mentir sur le prix, sur la contenance et sur le fait de la vente. Ce n’est jamais l’affirmation totale qu’il faut regarder comme sincère ou comme fausse, ce sont les affirmations partielles. — Les circonstances qui permettraient de présumer une affirmation sincère sont trop difficiles à constater pour qu’on puisse déterminer sûrement la sincérité d’une affirmation donnée. Mais si l’on trouve une même croyance affirmée souvent et par différents auteurs, on admet que cette affirmation a pour cause le motif le plus habituel, qui est le penchant à exprimer sa croyance. Il est incroyable, comme on dit, que tous les hommes d’une époque se soient entendus pour nous tromper.

9o Comment passer de la croyance au fait qui l’a produite ? L’observation psychologique montre que la croyance peut être le résultat d’un jugement ou d’opérations intellectuelles à partir d’un jugement. Aucun principe ne permet de présumer quelle est cette cause. On fait bien de chercher dans le document si quelque trace indique l’origine de la croyance ; mais on fait bien de ne pas s’attendre à en trouver : d’ordinaire l’auteur donne un résultat sans dire par quel procédé il l’a obtenu, et même, s’il déclare avoir formé sa croyance par une perception directe, il est douteux que son affirmation soit exacte. Il reste encore la ressource de chercher dans