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Les états de personnalité variés ne se sont pas montrés spontanément chez B… Il a fallu les suggérer. Par ce procédé on obtenait les scènes les plus singulières. De matelot, notre homme devenait successivement officier, médecin, général de cavalerie, sœur cloîtrée, etc., et il apportait à ces divers rôles, non seulement une conviction entière, mais encore une fécondité d’imagination et une perfection d’imitation très surprenantes pour un homme aussi grossier d’ordinaire et qui, amené sur les mêmes sujets à l’état de veille, ne montrait aucune intelligence ni aucun sens d’observation.

Son talent d’imitation, ou plutôt d’objectivation, s’est aussi signalé souvent après suggestion par la reproduction de nombreux types d’animaux de toute espèce et de toute allure. Il trouvait des traits caractéristiques et les plus imprévus pour singer le chat ou le chien, le poisson, le canard ou l’éléphant. Il vivait comme eux, courait, sautait ou rampait à leur manière, et répondait suivant les mœurs de chacun d’eux, par des coups de dents, des caresses ou la fuite effarouchée, aux appels de l’un de nous. Ce sujet serait vraiment inépuisable, si nous ne nous tenions en garde contre le pittoresque, ennemi du scientifique.

Enfin il nous reste quelques mots à dire des phénomènes d’inhibition.

Nous appelons inhibition, d’après Rouget et Brown-Séquard, une sorte d’arrêt ou au moins une diminution de puissance de certains actes musculaires ou sensitifs, sous l’influence d’excitations en des points déterminés.

Dans le cas qui nous occupe, l’arrêt consiste en un état suspensif de tout mouvement, de toute sensibilité et de toute réaction consciente ou inconsciente, pendant la durée d’une excitation spéciale.

Les points où cette excitation a produit le phénomène d’arrêt sont tous les points d’émergence des nerfs, tous ceux où un cordon nerveux se place sous la peau, tous ceux où il peut être comprimé sur un plan osseux. À la face, l’émergence du sus-orbitaire et du sous-orbitaire, celle du mentonnier, celle du massetérin et du nasal externe ; au membre supérieur, les points accessibles du radial et du cubital, etc., sont les lieux d’élection de cette action : il suffit d’exercer une pression même légère sur la peau qui correspond à ces points pour produire une action d’arrêt. À droite ou à gauche, en territoire anesthésié ou non, le phénomène est toujours le même.

Au moment où l’on place le sujet en inhibition, il cesse de parler, de compter, de faire un geste ; la phrase ou la numération reprennent au point interrompu dès que la pression est supprimée. Si, pendant l’inhibition, on approche un flacon d’ammoniaque des narines et qu’on l’en éloigne après lui avoir laissé faire plusieurs inhalations irritantes, B… ne manifeste rien ; mais, si alors l’inhibition est supprimée, B…, qui semble sortir d’une rêverie profonde, éprouve une vive irritation dans les narines et cherche à quel objet, déjà disparu, il doit ce désagrément. Les bruits, les images brillantes, l’impressionnent de la même façon