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société de psychologie physiologique

sionné. S’il est incertain, il hésite, tâte la lettre avec le doigt comme pour confirmer l’impression auditive par l’impression tactile et finit par trouver juste.

Ces détails pourront paraître oiseux ; ils nous ont vivement intéressés, et sans vouloir, dès à présent et sur une seule observation, baser des théories sur les vibrations tactiles, auditives ou visuelles, nous ne pouvons nous empêcher d’appeler l’attention de la fusion des diverses impressions dans un organe qui normalement ne reçoit que des impressions tactiles.

Transposition du goût et de l’odorat. — On suggère à B…de ne plus sentir les odeurs avec les narines, mais seulement avec la paume des mains. On s’assure, aussitôt après le réveil, que l’ammoniaque n’éveille aucune sensation dans les narines. Le nez est, du reste, pincé par un aide. On dépose alors sur la région désignée une gouttelette de diverses substances liquides odorantes et cela en dehors de la vue du sujet. Chacune produit une impression particulière. B… diagnostique ainsi l’odeur du vin, du tabac, du rhum, de l’eau de rose, de l’eau de fleur d’oranger ; l’alcool lui est agréable, l’eau claire le dégoûte, l’ammoniaque lui produit de vifs picotements dans le nez.

Pour le goût, après suggestion analogue, nous procédons à l’aide de poudres de corps sapides. Certaines d’entre elles, le bismuth, la craie, la farine, sont indifférentes ; la quinine est très amère ; l’alun, âpre et sec, dit-il, colle les lèvres aux gencives ; le sucre, le sel se reconnaissent aisément.

La transposition de la vue a été l’objet de recherches attentives, que nous n’aurions pas songé à pratiquer, si nous n’avions été mis sur la voie par les tâtonnements auxquels B… se livrait pour trouver les lettres prononcées dans les expériences relatées plus haut.

Nous avons naturellement procédé en suggérant au malade d’être absolument aveugle des deux yeux et d’y voir avec les doigts. Puis, quand la cécité nous paraissait absolue, nous placions devant lui, en outre, une forte planche de carton faisant écran, à quelques centimètres du visage, et B… ne pouvait ainsi voir ni ses mains, ni les objets en expérience, ni les gestes, ni le visage des expérimentateurs.

Nous venons de dire que la cécité nous paraissait absolue. L’était-elle ? Les mouvements de la pupille, très faibles, il est vrai, indiquaient encore une certaine sensibilité rétinienne. Mais cela ne constitue pas la vue. Un objet quelconque, une flamme, un couteau approchés brusquement à quelques millimètres de la cornée, ne le faisaient ni fuir, ni manifester aucun saisissement. Le réflexe pupillaire échappe aux organes de la perception consciente, et dans la cécité hypnotique ou suggérée, ce qu’on enlève au sujet, c’est évidemment la vision consciente ou, si l’on veut, la conscience de la vision. Le réflexe persiste dans l’isthme de l’encéphale, mais la sensation ne s’élève plus jusqu’aux couches corticales. Nous pouvons donc affirmer que notre sujet était en état de cécité oculaire réelle, au point de vue de la perception