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pas cru à la vérité du fait, son récit prouve au moins qu’il concevait les deux peuples et les deux modes de sépulture. La réalité de la conception ne dépend pas de la sincérité de l’affirmation. L’historien doit donc toujours distinguer ce que l’auteur a conçu de ce qu’il a cru : il doit dans chaque jugement séparer chacun des éléments et l’enregistrer à part comme une conception de l’auteur. Ces conceptions sont connues sûrement, même si l’on ne peut atteindre la croyance.

Si la pensée prend la forme d’une affirmation, c’est qu’un jugement s’est opéré dans l’esprit de l’auteur. Ce jugement correspond-il à sa croyance ? Chercher si un auteur a dit ce qu’il croyait, c’est chercher si son jugement lui a paru vrai (c’est-à-dire conforme à ses autres jugements) ou s’il lui a paru faux (c’est-à-dire accompagné d’un jugement opposé, joint à la conscience d’une contradiction entre le premier et l’ensemble de ses jugements). Avons-nous un moyen de reconnaître dans lequel des deux cas à été l’auteur ? L’expérience nous montre que, même pour une affirmation faite devant nous, il n’existe aucun critérium de la sincérité. Encore avons-nous des indices, la figure, le ton, les allures, qui ne paraissent pas dans un document. Il est donc illégitime d’inférer d’une affirmation isolée à une croyance. Pour avoir le droit, derrière la conception, de chercher la croyance, il faut raisonner ainsi : L’homme est plus enclin à exprimer un jugement qu’il croit vrai qu’un jugement qu’il croit faux. Car, pour mentir, il lui faut concevoir à la fois le jugement cru faux et le jugement cru vrai, pour parler sincèrement il lui suffit de concevoir le jugement cru vrai ; il a donc besoin d’un effort plus grand pour mentir ; en raison de la loi de moindre effort, il incline à dire la vérité. À conditions égales, l’affirmation sincère est plus probable que l’affirmation mensongère. Mais il faut que les conditions soient égales, c’est-à-dire qu’aucun motif n’agisse pour contre-balancer le penchant naturel. Le principe se restreint donc ainsi : Tout jugement exprimé correspond à une croyance, à moins que l’auteur n’ait eu un motif d’exprimer un jugement opposé. De quelle nature peut être ce motif, l’observation contemporaine seule peut nous l’enseigner, car c’est un fait de psychologie ; de là la crédulité irrémédiable des historiens qui ont lu des textes et n’ont jamais observé d’hommes vivants. — Le raisonnement s’achève ainsi : L’auteur de ce document s’est trouvé dans un état analogue à l’état où sont les hommes qui parlent sincèrement. — Donc il a parlé sincèrement. Pour pouvoir dire si l’auteur s’est trouvé dans cet état analogue, il faut connaître son caractère et les circonstances où il a parlé. Faute de cette connaissance, l’analogie reste incertaine. Un