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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

Athéniens, dit : « Et vos 6 000 héliastes ! » Comment savoir si Aristophane indique vraiment le nombre des héliastes, ou s’il emploie ce chiffre pour se moquer de la démocratie athénienne où chaque citoyen avait une fonction ? Si nous connaissons le sens allégorique que Pétrarque attachait à ses sonnets, c’est qu’il a eu soin de l’expliquer dans ses lettres ; si ses lettres s’étaient perdues, nous ignorerions même que ces sonnets avaient un sens allégorique. On ne peut être certain si une phrase détachée d’un auteur est prise au sens littéral ou figuré ; et quand on nous rapporte un mot isolé, nous disons d’abord : « N’était-ce pas une plaisanterie ? » Mais si le sens littéral est d’accord avec le reste du document, d’accord avec les autres idées exprimées par l’auteur, il devient probable qu’il exprime la véritable pensée de l’auteur. Car les motifs qui font employer le sens propre sont plus actifs que ceux qui font choisir le sens figuré. La concordance élimine la cause la plus faible. — Si, au contraire, le désaccord du sens littéral avec les faits connus montre que l’auteur a parlé au sens figuré, on se trouve en présence d’une langue secrète faite avec les éléments de la langue ordinaire, comme on écrit un cryptogramme en transposant les lettres. La clef de cette langue symbolique est la connaissance de la convention faite par l’auteur. Dans les dépêches où les noms propres sont travestis, le correspondant sait à quel nom réel correspond chaque nom fictif. Celui qui ne possède que le document sans la clef peut retrouver le sens réel comme on devine un cryptogramme en essayant différents sens ; le sens véritable sera celui qui peut s’appliquer à plusieurs passages où se trouve le sens littéral correspondant. Ici la concordance élimine la chance d’une coïncidence fortuite entre l’explication réelle et celle qu’on a choisie. On est sûr de comprendre une allégorie suivie où les mêmes figures sont employées souvent. Une plaisanterie ou une allusion isolée au contraire reste irrémédiablement obscure ; elle est comme un mot d’une langue ignorée dont on ne saurait que ce mot.

8o Toute idée exprimée a été une idée conçue ; même pour affirmer une proposition qu’on sait fausse, il faut la concevoir. La conception se présente tantôt isolée, tantôt incorporée dans un jugement. Si elle est isolée, on l’atteint par l’opération même qui détermine le sens réel ; un artiste a représenté ou décrit un Centaure, c’est qu’il avait dans l’esprit l’image d’un Centaure. En outre chaque affirmation est formée par la réunion de plusieurs conceptions ; l’analyse peut dégager les conceptions que l’auteur a réunies pour composer son affirmation. Thucydide dit : « Les Spartiates enterrèrent leurs morts, les Athéniens brûlèrent les leurs. » Quand même Thucydide n’aurait