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de ne point parler des philosophes vivants : fort heureusement, nous avons encore parmi nous les Ravaisson, les Janet, les Caro, les Bouillier, les Vacherot, l’auteur nous permettra d’ajouter les Ferraz. La communauté des tendances n’exclut pas de profondes divergences entre ces philosophes qui sont la gloire de l’école spiritualiste. Il eût été curieux de chercher en quoi le nouveau spiritualisme diffère de celui qui régnait il y a cinquante ans : à coup sûr, il est plus tolérant ; ajoutons qu’il est plus soucieux des faits scientifiques, de la précision du langage et que ce n’est pas un mince honneur pour l’école psychologique actuelle d’avoir gagné à sa cause d’illustrés représentants de l’ancienne école. Ici se placent les réserves que nous avons signalées dès le début : l’école spiritualiste a eu trop longtemps le double tort de rester étrangère aux rigoureuses méthodes scientifiques et de se tenir en dehors des recherches physiologiques sans lesquelles il n’est point de psychologie digne de ce nom ; bien qu’elle fit profession de connaître et de révéler l’absolu, elle commit la très grande faute de le subordonner soit à l’État, soit à l’Église et de l’envelopper dans une phraséologie vague, oratoire, pleine de nuages et de déception, bien propre à lui aliéner les esprits « nourris aux mathématiques », comme parle Aristote. Ajoutons qu’une école qui laisserait subsister en l’aggravant le vieux dualisme cartésien de la matière et de l’esprit ne saurait être qu’une école de transition : le spiritualisme ne peut être sauvé qu’à condition de se transformer plus ou moins en panthéisme. L’animisme est un acheminement à ce terme inévitable de son évolution et l’animisme conséquent avec lui-même est déjà, qu’on nous passe l’expression, un panpsychisme. À ce terme, les deux écoles adverses pourront peut-être se réconcilier, car entre ces deux propositions tout est esprit ou pensée et tout est force ou matière, quoi qu’en puissent croire les esprits timorés qui se scandalisent aisément, il n’y a pas la distance du ciel à la terre, il n’y a que l’épaisseur d’un cheveu. Ce n’est pas Condillac, c’est Spinoza qui sera vraisemblablement le prophète de la nouvelle philosophie, à moins que l’esprit français ne consente, comme on l’annonce, à abdiquer provisoirement entre les mains de Kant, ou à renoncer pour jamais aux grandes aventures de la pensée.

Alexis Bertrand.

Ch. Féré. — Sensation et mouvement. Études expérimentales de psycho-mécanique (in-18, 164 p., chez F. Alcan, 1887).

La psychologie expérimentale, cette étude nouvelle qui cherche à appliquer aux phénomènes de la conscience les méthodes précises de l’enregistrement et du calcul, n’a guère été jusqu’ici cultivée en France. Quand on parcourt des ouvrages étrangers devenus classiques sur ces questions, comme la Psychologie physiologique de Wundt, on ne peut s’empêcher de regretter que, parmi tant de travaux qui sont cités et discutés, il y en ait si peu de français. C’est pourquoi l’on peut signaler