Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
ANALYSES.ferraz. La philosophie en France au xixe siècle.

sur les autres et de dominer par la parole ; Jouffroy y avait été attiré par l’espoir qu’elle raviverait des croyances éteintes et qu’elle comblerait le vide que le christianisme, en se retirant, avait laissé dans son cœur. Ainsi le premier parle de tout avec assurance et a des solutions à toutes les questions ; il croirait s’amoindrir et perdre quelque chose de son autorité, s’il n’avait pas l’air de savoir. Le second, au contraire, doute, tâtonne, hésite et ne craint pas de se diminuer, en nous faisant part de ses doutes, de ses tâtonnements et de ses hésitations. L’un est avant tout un chef d’école ; l’autre est un homme comme nous. »

Avec Jouffroy se trouve close (puisque M. Ferraz s’est fait une loi de ne parler que des morts) la série des philosophes originaux de l’école spiritualiste ; cependant, il reste encore bien des noms recommandables, bien des œuvres dignes d’être signalées. Tel le Traité des facultés de l’âme d’Adolphe Garnier, mais il serait bien difficile d’y trouver un seul point de vue personnel, bien qu’il mérite encore d’être lu pour l’exactitude des descriptions, j’évite à dessein le mot d’analyse des phénomènes de l’âme. Les trois cents pages consacrées aux passions sont dignes de Nicole et du xviie siècle et mériteraient, dit M. Ferraz, d’être réimprimées à part. Albert Lemoine est le physiologiste de l’école ses travaux sur le sommeil et l’aliénation mentale ont vieilli, mais son analyse si ingénieuse du sens vital restera dans la science comme une précieuse conquête. Je suis reconnaissant à M. Ferraz d’avoir consacré à J. Tissot quelques lignes qui m’ont paru trop courtes : si Tissot vivait encore, il serait placé à un rang très honoble dans la nouvelle école psycho-physiologique, mais ses livres trop nombreux parurent vingt-cinq ans trop tôt. Ils prouvent du moins que la province peut quelquefois devancer Paris et qu’à Dijon comme à Lyon les J. Tissot et les F. Bouillier pratiquaient la doctrine baconienne « de l’alliance » quand une partie de la Sorbonne vivait encore sur un passé peu éloigné, mais déjà mort et stérile. Tissot, profondément versé dans les sciences médicales, a écrit vingt volumes dont le fond n’a pas vieilli, mais dont le style a rebuté les lecteurs en même temps que les idées faisaient un peu tort à leur fortune universitaire. Charles de Rémusat a l’honneur d’un chapitre entier ; je renverserais les rôles et donnerais volontiers, au point de vue, non certes du style et de l’art, mais des recherches personnelles et de l’originalité, le chapitre à Tissot et la page à Rémusat. De Saisset il ne restera que d’élégantes études d’histoire de la philosophie : ses Essais de philosophie religieuse sont-ils autre chose ? Il faut reconnaître toutefois qu’il a rendu un service éminent à la philosophie française en lui rendant accessibles les écrits de Spinoza, le plus vivant à l’heure présente de tous les génies originaux de la philosophie ancienne et moderne.

M. Ferraz termine son ouvrage par quelques considérations générales sur le développement contemporain et l’influence du spiritualisme sur la médecine, le droit et la littérature. Cette partie de son œuvre laisse un vif regret au lecteur à cause de la loi qu’il s’est faite