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on compare d’abord le mot au contexte, c’est-à-dire le sens du mot douteux au sens des autres mots du même passage. Puis on compare le même mot dans différents passages du même auteur ou du même temps ; on traite la langue de l’auteur ou de ses contemporains comme une langue distincte ; on en fait le lexique. La comparaison montre si le mot est pris dans un sens fixe ; la concordance rend l’interprétation certaine, la discordance prouve avec certitude qu’elle doit rester douteuse. Ces procédés ne rendent pas certaine l’interprétation d’un mot dans un cas donné, car ils laissent place à la chance que l’auteur ait employé le mot avec un sens inusité ; mais la concordance entre plusieurs cas élimine la chance de se tromper sur le sens habituel du mot.

7o Comment passer du sens littéral exprimé par les mots au sens réel conçu par l’auteur ? Peut-on dire : Tout homme emploie les mots dans leur sens littéral ; donc, dans ce document, le mot est pris au sens littéral ? Mais comment concilier ce raisonnement avec les exemples innombrables de plaisanteries, d’allusions, d’allégories, que nous montre notre expérience ? L’analogie nous force à croire que ces formes de langage ont été employées de tout temps et à ajouter au principe général cette restriction : « à moins que l’auteur n’ait La eu quelque motif d’employer les mots dans un sens figuré ». mineure du raisonnement doit alors se formuler ainsi : L’auteur de tel document s’est trouvé dans un état analogue à l’état d’un homme qui n’a pas de motifs pour ne pas employer le sens littéral. Il s’agit donc de reconnaître si l’auteur a eu ou non des motifs pareils. L’expérience montre qu’un auteur qui cherche avant tout à être compris évite ces formes de langage ; aussi admet-on par analogie que l’auteur de tout document officiel a parlé au sens littéral. — Ce principe ne s’étend guère au delà des documents officiels ; les autres restent douteux. Qui peut être sûr de connaître tous les motifs d’un auteur, de savoir quand il emploie une hyperbole, quand il fait allusion à un fait inconnu de nous, ou donne aux mots un sens convenu entre lui et ses amis ? On admet souvent que le sens figuré se reconnaît, soit à des signes extérieurs, soit au désaccord entre le sens littéral et la vérité. C’est une erreur. Il n’y a pas de critérium certain de la plaisanterie ou de l’allégorie ; elles ne portent de signe extérieur que si l’auteur a voulu leur en donner, et même l’essence de la mystification est d’effacer les signes auxquels on pourrait la reconnaître. Les signes les plus concluants, l’attitude ou le ton de voix, sont de ceux que le document ne reproduit pas. Quant au désaccord entre le sens littéral et les faits, il faudrait, pour l’apercevoir, connaître les faits que savait l’auteur. Aristophane, s’adressant aux