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ANALYSES.ferraz. La philosophie en France au xixe siècle.

dites où Maine de Biran se montre à nous comme le premier philosophe et le premier administrateur qui introduisit en France les idées de Pestalozzi et fonda une école pestalozzienne, il eût peut-être étendu encore le chapitre qu’il consacre au biranisme appliqué à l’éducation.

Avec Royer-Collard et Guizot nous ne sortons guère de la psychologie appliquée : tous deux sont des hommes politiques plus préoccupés encore de la société que de l’individu, de morale sociale, de sociologie, comme on dit aujourd’hui, que de psychologie. Le premier cependant est théoricien pur dans son enseignement de la Sorbonne, si court, mais si brillant. Il n’a pas acheté sa philosophie sur les quais, comme le prétend malicieusement M. Taine : il était Écossais de tendances et il a transfiguré par son éloquence les doctrines un peu terre à terre de l’école dont il a adopté les idées. « Il aime les barrières et il en pose. Il fait la police de la philosophie », dit durement le critique que nous venons de citer. Mais, répond M. Ferraz, celui qui devait, selon un mot de Napoléon Ier, nous « débarrasser des idéologues » et qui répondit à cet espoir du despote à qui l’idéologie portait ombrage par cette belle parole : « L’Empereur se méprend. Descartes est plus intraitable au despotisme que Locke, et la doctrine de l’âme est bien plus favorable à la liberté que celle de la sensation transformée. Pour les partisans de cette dernière théorie, la résistance à la force est une inconséquence généreuse pour nous, elle est un devoir irrémissible » ; celui-là ne fait pas la police de la philosophie : il expose sur un ton dogmatique et avec son tempérament d’orateur les idées qu’il croit justes ; et il rompt ouvertement avec le condillacisme. Dans les théories de Guizot sur le progrès M. Ferraz reconnaît une sorte d’éclectisme à la manière de V. Cousin : « D’après lui, aucun des grands régimes politiques qui ont apparu dans l’histoire n’est précisément mauvais. Par cela seul qu’ils se sont fait accepter des hommes et qu’ils ont eu une certaine durée, ils ont dû contenir quelque raison et quelque justice ; mais ils ont dû être par quelque côté déraisonnables ou injustes, sans quoi le cours des siècles ne les aurait pas emportés. De là la nécessité de dégager ce qu’ils ont de bon et de laisser de côté ce qu’ils ont de mauvais. Entre l’éclectisme de Cousin et le doctrinarisme de Guizot, la parité, comme on voit, est presque complète » (p. 377). M. Ferraz découvre et signale dans ce doctrinarisme le même vice fondamental qui ruine l’éclectisme : « une sorte d’optimisme fataliste, assez analogue à celui de Cousin déclarant que le vainqueur avait toujours raison contre le vaincu ». Décidément l’Allemagne avait envahi la France bien avant 1870 : elle nous avait convaincu de ses sophismes avant de nous vaincre par les armes, et l’histoire retrouve trop souvent les traces de cet envahissement subtil et lent non moins dangereux que la violence. Le doctrinarisme et l’éclectisme devraient au moins être tolérants pour tous, puisqu’ils empruntent à tous. Il n’en est rien. Selon Guizot, c’est le droit du gouvernement « de résister non seulement au mal, mais au principe du mal, non seulement au désordre, mais aux passions et aux idées que