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ANALYSES.ferraz. La philosophie en France au xixe siècle.

précédents. M. Ferraz a pris soin lui-même de désarmer la critique en reconnaissant loyalement les torts de l’école spiritualiste : « Elle est restée trop étrangère au progrès des sciences ; elle ne s’est pas emparée de leurs grands résultats pour étendre son horizon et pour s’élever, comme toutes les écoles dignes de ce nom, à une conception de l’ensemble des choses. Elle a ainsi laissé une autre école, issue du mouvement scientifique, se poser en face d’elle, sous le nom d’école positiviste, et lui disputer l’empire des intelligences. Elle ne s’est même pas occupée suffisamment de la science qui a avec elle les rapports les plus intimes, de la physiologie, sans laquelle, comme nous l’écrivions il y a vingt-cinq ans, la psychologie n’est qu’une science mutilée. C’est pourquoi cette psycho-physiologie, que nous appelions jadis de nos vœux, au lieu de naître en quelque sorte sous ses auspices et de lui servir d’auxiliaire, a été fondée à côté d’elle, mais aussi un peu contre elle » (p. 461). Il lui reproche encore d’avoir trop obéi à des préoccupations extra-scientifiques en subordonnant les solutions philosophiques tantôt aux exigences officielles de l’État, tantôt à la tyrannie religieuse de l’Église, dangereux opportunisme dans une science qui n’a de dignité et de vitalité que par la libre recherche et la parfaite indépendance. Avec des compromis on fonde peut-être une constitution, mais non pas une philosophie durable, un système cohérent, une doctrine respectée et destinée à conquérir les âmes fières de la jeunesse et à régner sur les esprits exigeants que la science moderne a nourris de son suc et de sa moelle. Voilà en vérité une page qui met le critique singulièrement à l’aise : il ne lui reste que la tâche d’analyser et le plaisir de louer presque à chaque page une exposition aisée et l’art si précieux et si rare de simplifier sans affaiblir et de rendre clairs tous les systèmes sans jamais les appauvrir.

Un lecteur pointilleux pourrait se demander dès l’abord si M. Ferraz, par ces deux mots de spiritualisme et de libéralisme, entend deux doctrines distinctes et si ces deux expressions sont pour lui synonymes. Le spiritualisme semble bien à ses yeux envelopper le libéralisme : il en airait le privilège et pour ainsi dire le monopole. C’est que l’auteur, semble-t-il, ne peut concevoir hors de ce système la liberté morale ; or il n’est pas un de ces partisans platoniques du libre arbitre qui, après l’avoir installé dans le sanctuaire de l’âme, se contentent, comme dit spirituellement M. Compayré, « de lui tirer en passant une révérence » ; c’est de la liberté morale qu’il déduit son libéralisme social et politique. Il lui semble donc, à tort ou à raison, qu’en dehors du spiritualisme on ne peut être libéral que grâce à une inconséquence.

C’est donc uniquement du spiritualisme qu’il s’agit : il est libéral par surcroît ; mais il est juste d’ajouter que plusieurs des philosophes étudiés ici se sont préoccupés du problème social de la liberté beaucoup plus que du problème psychologique de la spiritualité, par exemple Mme de Staël, Guizot, Royer-Collard lui-même, et c’est sans doute ce qui a décidé M. Ferraz à employer les deux mots, en dépit du pléo-