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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

abréviation produite par le hasard, on rétablit dans la formule mutilée les mots disparus en les prenant dans une formule identique complète. — L’induction qui conduit des lettres aux mots repose sur la connaissance d’une convention si précise et si ferme qu’elle a presque la force d’une loi empirique. Quand les lettres sont tracées par un procédé mécanique, comme dans les imprimés, on les lit avec une telle certitude, qu’on reconnaît sûrement une faute d’impression. C’est que l’analogie entre les caractères imprimés et la forme connue des lettres est si exacte qu’on ne peut hésiter à les rapprocher ; le caractère à lire se confond avec le modèle idéal que l’expérience a formé dans notre esprit. Mais, à mesure que l’analogie devient moins parfaite, la certitude diminue ; on a peine à lire une écriture cursive, parce que la forme des lettres ressemble mal à la forme idéale. L’analogie ne donne plus qu’une présomption, qu’on a besoin de fortifier par la concordance. Le principe du déchiffrement est de comparer entre elles les lettres du même document qui ont une forme semblable ; on admet que les lettres écrites d’une même main forment un système d’écriture individuel différent de l’écriture normale, mais soumis à une loi régulière. Les lettres dont la lecture est certaine déterminent celles dont la lecture serait restée douteuse. De même les mots d’un usage fréquent sont d’une lecture plus certaine que les mots rares. Un nom propre, connu par une seule mention, peut rester toujours douteux ; on discute encore sur quelques noms de la Table de Peutinger.

Une écriture alphabétique une fois déchiffrée, c’est encore par un raisonnement d’analogie qu’on retrouverait la prononciation ; mais ce travail est inutile pour fixer le sens du mot.

6o L’interprétation de l’écriture qui consiste à passer du mot à l’idée s’opère par le même raisonnement.

Tel mot est employé pour exprimer telle idée : — voici un mot analogue ; — donc il a été employé pour désigner la même idée.

Il faut ici connaître le sens convenu des mots et déterminer si le mot à interpréter est bien celui dont le sens est connu. L’interprétation vaut ce que valent ces inductions et ces analogies. Sur l’analogie d’un mot du document avec le même mot de la langue il ne peut y avoir de doute. Mais l’induction fondamentale est incertaine : il n’est pas vrai qu’un même mot a toujours le même sens. Les mots qui désignent une idée abstraite changent de sens avec les temps et les hommes ; qu’on compare justitia dans la langue de Cicéron et dans un texte du xie siècle. De plus presque tous les mots désignent à la fois plusieurs idées. L’interprétation d’un mot isolé serait donc toujours douteuse. Ce qui met fin au doute c’est la concordance :