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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

ments nouveaux. Le principe de cette méthode pourrait se formuler ainsi : Toute affirmation est vraie pourvu qu’on ne puisse la démontrer fausse. Les historiens l’ont pris à la pratique des tribunaux. Dans un procès, le juge n’a le choix qu’entre deux solutions, il n’a pas le droit de suspendre son jugement ; il a donc fallu établir une règle pour le forcer à choisir une des deux solutions. Une des parties apporte une présomption en sa faveur ; si l’adversaire n’apporte pas de présomption contraire, on n’exige pas que la présomption ait produit la certitude ; le juge n’est pas un savant, il n’a pas besoin d’être certain, il lui suffit d’un moyen pratique de prononcer la sentence. La balance ne doit pas rester en équilibre ; si légèrement qu’elle penche vers une des parties, le juge fait verser la balance de ce côté, sans attendre que le poids soit assez lourd pour entraîner le plateau. Tout autre est la position du savant ; il n’a aucun motif de pousser la balance si le poids ne suffit pas à l’entraîner. Rien ne l’oblige à affirmer une proposition. Il n’a pas à se demander : Ai-je des raisons de douter ? Le doute est son état naturel, il ne doit en sortir que s’il a des raisons positives de croire. Son principe se formule ainsi : « Toute affirmation reste douteuse jusqu’à ce qu’on l’ait démontré vraie. »

La crédulité systématique a produit en histoire de tels mécomptes qu’on s’est décidé à y mettre deux restrictions. Un fait, a-t-on dit, ne doit être cru que sur l’autorité d’un témoin sûr, garantie par un document authentique. L’expérience a montré que certains témoins mentent ou se trompent constamment, on renonce à les écouter pour réserver sa confiance aux témoins sur lesquels on ne sait rien de défavorable. L’expérience a montré qu’un document attribué à un auteur peut être l’œuvre d’un faussaire ; on renonce aux documents dont la provenance est suspecte pour s’en tenir à ceux qui se présentent sous des formes régulières. Ce sacrifice fait, l’historien se sent tranquille dans sa crédulité. Il n’a fait pourtant que construire deux principes négatifs avec des notions vulgaires. La notion d’autorité sort de la théologie, elle suppose qu’un texte contient la vérité absolue ; les notions de témoignage et d’authenticité, comme les mots qui les expriment, sont prises à la jurisprudence, elles supposent qu’un témoignage entraîne le prononcé d’une sentence, à la seule condition de se produire dans les formes prescrites. Ces notions n’ont rien de scientifique ; et rien ne prouve mieux combien peu l’histoire est constituée que de voir dans la Logique de Bain l’étude de la méthode historique réduite à la critique du témoignage. Classer les témoignages en sûrs et suspects, les documents en authentiques et apocryphes, est un commencement de méthode qui préserve des