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dont on connaît la cause probable. Faute d’analyser le document, on se prive de tout moyen de raisonner, puisqu’on n’a pas la mineure du raisonnement pour affirmer qu’une manifestation ancienne est analogue à une manifestation moderne, il faut en effet savoir d’abord quelle a été cette manifestation. Faute de déterminer l’opération qui a produit la manifestation ancienne, on se prive de tout moyen d’en connaître la cause, c’est-à-dire de remonter d’une espèce de manifestation à celle qui la précède dans la série ; on n’a pas le droit de passer d’une opération à la suivante sans s’être assuré que la première a eu réellement pour cause la seconde, car dans la série des causes successives qui aboutissent à produire un document, chaque cause est seulement une cause probable, et ne doit être admise comme certaine que si les deux opérations ont été dans un rapport analogue à ceux que nous connaissons pour des rapports de cause à effet. Opérer sur une manifestation comme si elle était identique à la manifestation suivante, c’est admettre implicitement que la première a toujours la seconde pour cause ; c’est se condamner à une erreur chaque fois que la manifestation aura été produite par une cause exceptionnelle. On ne peut opérer correctement que par une série d’analyses et une série de raisonnements ; tout intermédiaire sauté dans la chaîne des analyses et des raisonnements, qui seule conduit du document aux conclusions, est une chance d’erreur. Voici la liste de ces vices de méthode :

1o Confondre l’objet avec l’acte qui l’a produit, le parchemin tel que nous l’avons avec le parchemin tel qu’il est sorti des mains de l’écrivain c’est admettre l’identité des traits que nous lisons avec les traits tracés par l’écrivain, comme si un trait ne pouvait avoir d’autre cause que la main de l’écrivain. On se trompera quand le trait aura été ajouté par accident.

2o Confondre l’acte matériel avec le symbole, les traits tracés par l’écrivain ou le dessinateur avec l’écrit ou le dessin qu’il a voulu faire : c’est admettre l’identité de ce que l’auteur a réellement tracé avec ce qu’il a voulu tracer, comme si tout trait tracé par un homme ne pouvait avoir d’autre cause que sa volonté. On se trompera quand le trait aura été tracé à la hâte ou par une main inhabile.

3o Confondre le symbole écrit avec le symbole parlé, les lettres avec les mots : c’est admettre l’identité des lettres que l’auteur a réellement écrites avec celles qu’il a voulu écrire, comme si une lettre ne pouvait avoir d’autre cause que l’intention d’écrire en donnant aux lettres leur valeur habituelle. On se trompera si la lettre a été écrite par erreur ou pour dérouter le lecteur.

4o Confondre le symbole parlé avec l’idée, les mots avec le sens : c’est