Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

habitudes de société, émet des affirmations conformes à sa croyance. À cette variété infinie de données correspond une infinité d’erreurs ; l’historien ne peut les éviter que s’il connaît bien la psychologie descriptive fondée sur l’expérience ; il doit être avant tout un psychologue. À défaut de cette connaissance, il peut éviter du moins les erreurs les plus grossières en prenant soin de formuler tous les principes sur lesquels il raisonne. Beaucoup d’historiens raisonnent, sans s’en rendre compte, à partir de principes tels que ceux-ci : Un homme dit toujours ce qu’il pense ; Un homme ne parle que de ce qu’il a vu lui-même ; Un homme observe toujours exactement ce qu’il voit. Si l’on avait à formuler de telles lois, on hésiterait peut-être à les appliquer. — L’invraisemblance peut fournir aussi des principes incorrects. Plus d’un historien, lorsqu’il trouve dans un document à la fois des affirmations invraisemblables et des affirmations vraisemblables, se délivre des faits invraisemblables qui lui sont incommodes et garde les faits vraisemblables qui ne le gênent pas dans une légende il se débarrasse du merveilleux et cherche à sauver le reste. Grote[1] a fait la critique de ce procédé ; il a montré qu’en rejetant les faits impossibles on obtient un résidu de faits possibles, mais possibles seulement ; on n’a aucune autre raison d’admettre ces faits que les récits faits par des hommes assez dépourvus de critique pour croire au merveilleux ; le même procédé appliqué aux contes de fées donnerait un résidu tout semblable.

4o On fait un mauvais emploi de l’analogie quand on constate mal, soit la manifestation contenue dans le document, soit les circonstances où elle s’est produite. On peut se tromper sur chacune des conditions dans lesquelles a opéré l’auteur : ses procédés, son écriture, sa langue, ses idées, son état d’esprit, la façon dont il a connu et observé les faits. On se trompe de deux façons opposées, soit en présumant des conditions ordinaires quand la manifestation a eu lieu dans des conditions exceptionnelles, soit en imaginant des conditions exceptionnelles quand elle a eu lieu dans des conditions habituelles. Il est également incorrect d’admettre sans raison une erreur d’écriture, un sens particulier, une plaisanterie, un préjugé, une erreur de perception que de ne pas les reconnaître dans les cas où il y en a. Toutes ces erreurs sont des erreurs dérivées, qui proviennent d’une erreur historique antérieure. — Quant à la manifestation elle-même, on ne la connaît qu’en la dégageant du document par analyse, en la rapportant à l’opération ancienne qui l’a produite et en rapprochant cette opération ancienne d’une opération moderne analogue

  1. Histoire de la Grèce, t.  I.