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se former, puisqu’elle dirige l’opération préalable à toute recherche historique. Étant seule pratiquée, elle a passé pour la méthode historique par excellence. Elle a donné aux historiens la joie, nouvelle pour eux, de disposer d’un instrument de recherche, ils l’ont appliquée pour le plaisir de l’appliquer, même à des documents sans valeur. Il semble presque qu’une question ne soit digne d’un historien que s’il faut l’étudier dans des documents assez mauvais pour nécessiter une critique sévère ; l’étude du xixe siècle paraît moins scientifique que celle du xe siècle. Cet enivrement est la réaction naturelle contre les fantaisies des historiens sans critique ; des hommes qui mettaient leur amour-propre à employer au hasard des documents de tout genre, devaient être suivis d’une génération occupée uniquement de rechercher la provenance des documents. Aujourd’hui l’œuvre est faite : la critique de provenance a permis d’étudier les documents anciens nés dans des conditions obscures ; elle est de peu d’usage pour les temps modernes, depuis qu’en publiant les documents on en publie la provenance. Elle n’est qu’un procédé de préparation et ne donne que des résultats négatifs, elle apprend à ne pas employer de mauvais documents, elle n’apprend pas à tirer parti des bons. Elle devrait s’effacer désormais devant la critique d’interprétation.

3o On emploie l’induction incorrectement quand on admet pour majeure du raisonnement un principe faux. Comme les principes de l’histoire sont tous empruntés à d’autres connaissances, tout principe faux provient d’une erreur sur un fait connu par l’expérience : erreur de technique, erreur sur le sens des signes d’une écriture ou d’une langue, erreur psychologique, erreur scientifique, quand on fait appel à une loi scientifique fausse pour reconstituer les circonstances d’une observation ou d’un fait ou pour déclarer un fait invraisemblable. Ainsi le progrès des sciences modifie quelques-unes des conclusions de l’histoire (par exemple sur les stigmatisés ou les possédés). Mais la plupart des erreurs sont des erreurs de psychologie, car la plupart des faits qu’on a besoin de reconstituer sont des opérations de l’esprit dont on n’atteint la cause qu’en les rapprochant d’un fait général d’expérience psychologique. Il ne suffit pas de connaître les lois générales des opérations de l’esprit : ce que l’histoire emploie comme principes, ce sont les applications de ces lois à des cas particuliers. On a besoin de savoir, non seulement comment telle opération s’accomplit en général, mais comment elle s’accomplit quand le sujet est dans certaines conditions données ; — non pas par exemple si en général l’affirmation d’un homme reproduit sa croyance, mais si un homme de tel caractère, dans telle position, avec telles