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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

Vices dans l’observation, dans la détermination de la provenance, dans l’induction, dans l’analogie, dans la conclusion, dans la détermination de la concordance, telles sont les catégories de fautes.

1o Les fautes d’observation matérielle ressemblent à celles qu’on commet dans toute autre science. Elles ont pour cause unique la négligence ; l’idée qu’on s’est faite à l’avance des caractères d’un objet fait qu’on ne prend pas la peine de les observer ; on a un mot dans l’esprit, on croit le lire dans le document. Le premier Européen qui a vu la pierre dite stèle de Mésa, s’est imaginé qu’elle avait la forme ordinaire des stèles.

2o Dans la détermination de la provenance d’un document on peut commettre autant de fautes qu’il y a d’éléments à déterminer, ce sont des erreurs historiques semblables à celles qu’on commet en opérant sur le document. Mais la faute fondamentale, la plus grave de toutes en histoire, est d’opérer sur un document sans s’être assuré de sa provenance. L’historien cherche dans le document la connaissance de certains faits ; si le document a été écrit par un homme qui les ignorait, que peut en tirer l’historien ? Autant vaut chercher une observation dans les papiers d’un homme qui n’a rien observé. C’est là ce qu’on appelle par excellence le manque de critique. Il prend surtout deux formes : 1o en matière de documents, accepter sans examen et sans preuves la provenance traditionnelle ; 2o en matière de manuscrits, prendre au hasard celui qu’on a sous la main. On s’y laisse entraîner facilement, et pas seulement, comme on croit, par le dégoût du travail fastidieux de la critique, mais par un motif que les historiens n’aiment pas à s’avouer, le désir ardent de découvrir un fait nouveau. — Le remède efficace contre la paresse est la conviction que tout travail fait sur un document non critiqué est du travail perdu. Contre l’entraînement, le remède serait l’indifférence aux conclusions. Mais elle est rare chez les historiens ; ils s’adressent à un public qui réclame des affirmations, et la critique est toujours négative : elle interdit de formuler une proposition fausse, elle ne fournit en échange aucune proposition vraie. De là la mauvaise humeur des historiens contre quiconque remet en question la provenance d’un de leurs documents. — L’habitude de ne chercher de renseignements dans un document qu’après avoir examiné si l’on a chance d’en trouver a donné aux historiens du xixe siècle un avantage reconnu sur leurs devanciers et leur a valu la réputation d’avoir élevé l’histoire au rang d’une science (on a même dit une science exacte). Le besoin de contrôler la provenance des documents a été en histoire le premier éveil d’un esprit méthodique, il a fait naître la critique des textes et des sources. Elle devait être la première à