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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

semblable que sous la main d’un homme ; on a ébranlé la théorie en produisant par l’action du feu des silex de même apparence. L’inférence n’est donc certaine qu’à deux conditions :

a. L’induction qui lui sert de majeure doit avoir la force d’une loi ; il faut que l’objet ne puisse être le produit d’une autre cause que d’une main d’homme.

b. L’analogie de l’objet ancien avec les objets modernes dont on connaît la cause doit être exacte. On n’a pas de doute sur les haches en pierre polie, parce qu’elles ressemblent exactement à celles qu’on sait être l’œuvre d’une main humaine. À mesure que l’objet devient plus simple et l’analogie plus grossière, il devient plus concevable qu’il soit l’effet d’une cause inconnue ; des entailles dans un rocher peuvent n’avoir pas été faites de main d’homme ; la certitude n’est plus complète, car il reste la chance que l’objet soit l’œuvre d’une cause inconnue. Mais cette chance diminue à mesure qu’on connaît un plus grand nombre d’objets semblables, parce qu’il devient de plus en plus incroyable qu’ils soient tous l’effet d’une cause inconnue. La concordance produit la certitude. On pourra douter que tel dolmen soit une œuvre humaine ; on n’a pas de doutes sur les dolmens en général.

3o Une inférence semblable conduit de l’acte qui a produit le document au symbole que l’auteur a voulu manifester. Le raisonnement se formulerait ainsi :

Quiconque emploie un dessin ou un écrit, l’emploie comme signe.

Tel trait ressemble aux traits que nous voyons employés comme signes.

Donc il a été employé comme signe.

On admet qu’un homme n’a d’autre motif pour dessiner ou écrire que de traduire une conception. C’est une de ces inductions grossières dont on se contente en pratique ; le raisonnement n’est exact que dans les cas où l’induction l’a été. Le savant qui a acheté pour le musée de Berlin de fausses antiquités moabites admettait que les lettres avaient été tracées sur ces objets par un homme qui voulait exprimer un sens (et il en a trouvé un). Elles avaient été mises au hasard par le Juif qui avait vendu les antiquités. Le savant avait raison d’admettre que l’auteur des lettres avait eu un motif, mais il se trompait sur le motif, qui était de tromper l’acheteur. — Les traits, pour être interprétés comme des symboles, doivent être analogues à des traits connus comme symboliques. Plus l’analogie sera grossière, plus il sera à craindre que les traits n’aient été tracés au hasard sans intention symbolique ; mais cette crainte s’éliminera par la concordance entre plusieurs traits semblables.