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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

M. Ribot, qui en dit un mot dans ses Maladies de la personnalité, les déclare inexplicables. Westphall considère que dans la sexualité contraire « une femme est physiquement femme, et psychiquement homme, un homme au contraire est physiquement homme, et psychiquement femme. » Si cette expression est simplement une comparaison littéraire, nous y souscrivons : elle nous paraît ingénieuse et brillante. Mais il ne faut pas la prendre à la lettre ; car, dans ce cas, elle est radicalement fausse. Nous croyons qu’on ne doit pas attacher ici une importance trop grande à la forme de la perversion ; c’est la perversion elle-même qui est le fait caractéristique, et non l’objet vers lequel elle entraîne le malade. C’est ce que nous avons dit plus haut au sujet des perversions où le malade recherchait des corps inanimés. Ainsi l’inversion génitale nous paraît être une perversion tout à fait du même ordre. C’est une circonstance extérieure, un événement fortuit, oublié sans doute, qui a déterminé le malade à poursuivre des personnes de son sexe ; une autre circonstance, un autre événement auraient changé le sens du délire, et tel homme qui aujourd’hui n’aime que les hommes aurait pu, dans un milieu différent, n’aimer que les bonnets de nuit ou les clous de bottine.

Ce qui prouve que toutes ces perversions appartiennent à la même famille, c’est qu’elles constituent des symptômes d’un même état pathologique ; il s’agit dans tous les cas de dégénérés, présentant, comme les observations prises l’attestent, des phénomènes névropathiques très nets et une hérédité morbide très chargée. Aussi quelques auteurs n’ont-ils pas hésité à ranger tous ces faits dans le même cadre.

On peut objecter cependant que la sexualité, qui, à l’état normal, dépend de la conformation anatomique et des éléments nerveux associés à l’organe, est peut-être un fait trop important pour que des circonstances accidentelles puissent le modifier du tout au tout et l’intervertir. Mais cette objection ne nous arrête pas. Sans nous attarder à faire remarquer que, dans les autres perversions sexuelles qui ont pour objet des corps inanimés, la modification est beaucoup plus profonde, et qu’elle est cependant produite par des événements extérieurs, nous nous bornerons simplement à rappeler les observations faites sur des hermaphrodites : elles sont péremptoires. Un certain nombre de fois, comme l’atteste entre autres Tardieu[1], une erreur a été commise sur le sexe réel d’un hermaphrodite apparent ; or l’habitude et les occupations imposées par le sexe erroné ont le

  1. Tardieu et Laugier, Dict. de méd., art.  Hermaphrodisme.