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seize ans, et qui le bouleversa complètement ; il aperçut dans la rue trois jeunes Italiennes d’une éclatante beauté ; elles s’arrêtèrent près de lui, pour regarder une devanture de magasin. Pendant une minute, il eut un tableau magique sous les yeux ; un rayon de soleil éclairait les brillantes couleurs rouges, bleues et blanches de leur costume, et faisait étinceler l’or de leurs colliers et de leurs boucles d’oreilles. Il a gardé de cette scène un souvenir si lumineux et si vivant qu’il tressaille encore en y pensant. Cette circonstance a décidé de ses goûts. Pour lui, il n’y a que les Italiennes qui soient jolies, il n’y a que le costume italien qui soit élégant. Aujourd’hui,’devenu un homme grave et sérieux, lorsqu’il voit passer dans la rue une Italienne en costume, il ne peut pas s’empêcher de la suivre ; la vue de sa robe rouge et de son tablier bleu lui cause un plaisir indicible, et pour peu qu’elle soit jeune et jolie, il est tout tremblant d’émotion. À une certaine époque, il était allé se loger dans le voisinage de la rue de Jussieu, où les modèles italiens de Paris ont établi leur quartier général. Il m’enviait souvent de pouvoir voir de près les Italiennes qui posaient comme modèles chez un peintre de ma famille.

Ce goût particulier a pour objet, non telle femme, mais le costume, car tout femme qui porte ce costume provoque chez lui la même impression : il s’agit donc là d’un cas de fétichisme où le culte s’adresse presque uniquement à un objet matériel. Il faut seulement que le costume soit revêtu par une femme ; le costume seul, pendu à une patère ou posé sur un mannequin, ne détermine pas chez le malade des phénomènes d’excitation génitale ; il n’éprouve, comme il m’en a fait l’aveu, qu’un plaisir très modéré à le regarder.

Cette observation nous montre donc une tendance incomplète à l’adoration exclusive d’un objet matériel. L’attrait sexuel pour un corps inerte n’a pas acquis une entière indépendance.

M. Macé décrit les allures de certains individus qui volent des mouchoirs aux dames, par amour. Quand un de ces individus, dit-il, vient de prendre un mouchoir, il le passe sur ses lèvres avec un mouvement de passion, il en aspire le parfum, et se retire en titubant comme un homme ivre. On trouva dans la chambre d’un tailleur, arrêté dans ces circonstances, plus de 300 mouchoirs brodés à diverses initiales. Les agents de police savent bien que ces voleurs de mouchoirs ne sont pas de vulgaires pick-pockets ; cependant les tribunaux les condamnent assez souvent, ce qui tient au voisinage du porte-monnaie (p. 269).

Ces observations nous acheminent vers celles auxquelles nous