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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

de la femme rousse est un héréditaire ; il présente plusieurs symptômes physiques de dégénérescence.

Nous ignorons si, dans ce fétichisme, le culte s’adresse à l’odeur de la femme ou à la couleur fauve de ses cheveux.

Au sujet de l’action excitante des odeurs sur l’appareil sexuel, le Dr A. m’a rapporté le fait suivant qui a été observé sans idée préconçue. Un étudiant en médecine, M. D., étant assis un jour sur un banc, dans un square, et occupé à lire un ouvrage de pathologie, remarqua que depuis un moment il était gêné par une érection persistante. En se retournant, il aperçut une femme rousse, qui était assise sur le même banc, mais de l’autre côté, et qui répandait une odeur assez forte. Il attribua à l’impression olfactive qu’il avait sentie sans en avoir conscience le phénomène d’excitation génitale.

Cette observation est intéressante, parce qu’elle montre que, chez certains sujets, l’odeur peut devenir directement une cause d’excitation, sans évoquer des souvenirs spéciaux[1].

L’amant de l’odeur présente au psychologue un intérêt tout particulier, car ce genre de fétichisme se rattache intimement à l’existence d’un type sensoriel : l’olfactif[2].

On comprend qu’un olfactif, qui, dans toutes les circonstances de sa vie, attache une grande valeur à l’odeur des objets, qui, s’il est médecin, pourra reconnaître ou soupçonner une maladie, par exemple la fièvre typhoïde, à l’odeur dégagée par les malades, apportera les mêmes préoccupations olfactives dans ses relations amoureuses. Ainsi, il se souviendra distinctement de l’odeur propre à chaque femme qu’il a connue ; une femme, fût-elle très jolie, ne lui plaira pas, si elle répand une odeur désagréable ; au contraire il se laissera séduire par une femme d’une figure insignifiante, mais dont l’odeur lui paraîtra délicieuse.

Tout cela se comprend comme une conséquence logique de la prédominance de l’odorat sur les autres sens ; mais si l’olfactif en arrive à ce point de ne tenir compte chez la femme que d’une chose : — l’odeur, on peut dire que c’est du fétichisme. Il n’y a là qu’une question de degré.

Les quelques faits réunis jusqu’ici suffisent déjà à montrer que l’amour n’est pas un sentiment banal, qui se présente chez tous avec des caractères uniformes. Chacun a sa façon propre d’aimer,

  1. Interrogez, dit Mantegazza, un grand nombre d’hommes profondément sensuels, et ils vous diront qu’ils ne peuvent visiter impunément les fabriques d’essences et de parfums (op. cit. p. 150).
  2. Les renseignements suivants m’ont été donnés par le Dr A., un olfactif.