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dans lequel ils se sont passés. En quel temps, en quel lieu, par quel homme un document a-t-il été produit ? telles sont en histoire les trois questions de provenance. Toutes trois portent sur des faits passés accessibles seulement par des procédés historiques ; on ne peut les résoudre que par des documents. Il importe peu que ce soient des documents indépendants ou une partie du document lui-même et qu’en ce cas ils soient insérés dans le corps de l’acte ou détachés (comme un titre ou une date). Quelle que soit leur forme, les documents qui établissent la provenance doivent être soumis à la même série d’opérations que tout autre document, on doit les ramener jusqu’au point où l’on rencontre une perception directe.

IV

La connaissance historique se tire des documents par deux séries d’opérations semblables : l’une dégage les faits dont le document conserve la trace : l’autre détermine la place que ces faits ont occupée. Dans quelles conditions doivent s’accomplir ces opérations pour aboutir à une proposition vraie, à laquelle on puisse donner son adhésion ?

1o L’observation du document est soumise aux mêmes règles que toute autre observation de corps inertes : on y emploie les procédés ordinaires, (moulage, mensuration, réactifs, examen à la loupe) ; on a soin de renouveler l’observation et, si l’on a un doute, de la faire renouveler par un autre observateur. La vérité est garantie par la concordance de plusieurs observations qui élimine les chances d’erreur subjective. Les conditions d’observation sont très favorables : le document étant immobile, l’observation est facile à faire, facile à contrôler.

2o De l’objet à l’acte qui l’a produit, le passage se fait par un raisonnement. Un objet ancien semblable à un objet présent a dû être produit par des actes semblables à ceux qui aujourd’hui produisent ces objets ; un édifice est l’œuvre d’un architecte passé. Le raisonnement se formulerait ainsi :

Tous les édifices que nous avons vu se produire sont bâtis par un architecte. Le monument qui nous occupe est analogue aux édifices modernes. — Donc il a été bâti par un architecte.

Ce qui fait la force de ce raisonnement c’est que la majeure est sans exception connue. Assurément, si nous voyions des édifices se construire sans architecte, notre confiance diminuerait beaucoup. Ceux qui reconnaissaient des haches dans certains silex des terrains tertiaires, se fondaient sur ce que les silex ne prennent une forme