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Après sa confession, M. R… plaida avec beaucoup de chaleur cette thèse que le phénomène dont il s’agit n’a rien de pathologique. Jamais la contemplation d’une main en plâtre ou en bronze, ou d’une peinture ou d’une photographie de mains ne lui a donné, dit-il, une érection. En somme, comme il le remarque très justement, c’est la femme qu’il aime et la femme seule. Son goût particulier ne met absolument aucun obstacle aux rapports normaux. Je dois même ajouter, après lui, ce détail extrêmement curieux qu’après des rapports très répétés et poussés jusqu’à l’épuisement, il passe des journées entières pendant lesquelles son goût favori lui paraît être complètement évanoui. Ce fait peut être ajouté à ceux qui montrent que la répétition des rapports normaux est, dans quelques cas, le meilleur remède aux idées érotiques. Il se passe ici une sorte de décharge ; l’idée érotique s’épuise dans la dépense du mouvement. Mais, quelque temps après, au bout de plusieurs semaines de continence, l’attrait sexuel caractéristique se reforme, et il est d’autant plus prononcé que la continence a duré plus longtemps.

J’étais curieux de savoir comment les choses s’étaient passées dans l’intervalle, souvent assez grand, qui s’écoule entre l’âge de la puberté et le premier rapport sexuel. M. R. m’avoua que, pendant cette période, il s’était livré pendant longtemps à des espèces de rêvasseries amoureuses, dans lesquelles son objet favori jouait le principal rôle. Depuis qu’il a contracté l’habitude des rapports sexuels réguliers, son goût s’est beaucoup affaibli.

En quel sens la perversion sexuelle dont il s’agit a-t-elle subi un affaiblissement ? Nous ne restons pas, sur ce point, dans le vague ; grâce à la confidence de M. R…, nous pouvons constater qu’il existe une différence tranchée entre sa situation actuelle et sa situation passée. Autrefois, quand la perversion était dans tout son développement, l’idée érotique se présentait au malade spontanément, sans qu’il l’appelât et sans qu’elle fût suscitée par une excitation extérieure. Pendant qu’il était à sa table de travail, l’esprit occupé par une étude abstraite, il voyait tout à coup surgir dans son esprit l’image d’une main ; ce n’était nullement une hallucination, c’était une image fixe, obsédante : quelquefois, il se complaisait à l’admirer ; quand il voulait continuer son travail, il devait faire un effort pour chasser l’image importune. Aujourd’hui, les choses ont changé. L’image n’apparaît plus spontanément, automatiquement, sans cause psychique qui la provoque ; nous entendons par cause psychique une association d’idées par ressemblance ou par contiguïté. Pour que le sujet s’occupe de l’objet pour lequel il a un attrait si prononcé, il faut qu’il y soit.