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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

l’objet est augmentée par tous les bijoux qui peuvent l’orner. Sur ma demande, il constate que ces bijoux, pris à part, ne lui deviennent pas complètement indifférents au point de vue sexuel. La vue d’un bracelet à la devanture d’un bijoutier, et mieux encore la vue d’une bague étincelant sur le fond de velours sombre d’un écrin lui font un sensible plaisir. Si nous ne nous trompons, nous voyons ici poindre une seconde perversion sexuelle, qui s’est greffée sur la première. Cette seconde perversion a pour objet des bijoux déterminés, c’est-à-dire des corps matériels et inanimés, comparables de tous points au bonnet de nuit et aux clous de bottines des premières observations. Seulement chez M. R… ce second fétichisme n’est encore qu’en germe. Il est facile de comprendre comment il s’est développé ; c’est certainement par l’effet de l’association des idées. Le bijou, se trouvant souvent rapproché de l’objet de son culte, a bénéficié d’une association de contiguïté. Une liaison s’est formée dans l’esprit de M. R… entre la main féminine et les pierreries étincelant autour des doigts, le cercle d’or entourant le poignet ; le sentiment sexuel, en se développant, a suivi cette association d’idées comme un canal qui a servi à son écoulement ; et c’est ainsi que les bijoux — principalement les bagues — sont devenus peu à peu une cause distincte et indépendante de plaisir. Une association des idées, fréquemment répétée, peut donc être considérée comme l’explication légitime de ce fétichisme secondaire.

Revenons maintenant au fétichisme principal. Il a pour résultat d’isoler l’objet aimé, quand il n’est qu’une fraction de la personne totale ; la partie devient, jusqu’à un certain point, un tout indépendant. Chez M. R…, cette individualisation d’une fraction de la femme n’est pas complète comme chez le malade de M. Ball ; pour lui, la main ne résume pas la femme entière : il reste sensible à la beauté du visage, à la grâce de la taille et des attitudes. Rien ne lui est pénible comme le contraste d’une femme très laide qui a de très jolies mains.

Enfin, il s’agissait de rechercher quel pouvait être, dans le passé du malade, l’origine de cette particularité sexuelle. Il m’affirma tout de suite que ce goût était chez lui extrêmement ancien, et qu’il ignorait complètement sous quelle influence il s’était développé.

Il se rappelait très distinctement que bien avant l’âge de la puberté il regardait avec curiosité les mains de ses amis ; mais cette curiosité n’avait nullement un caractère sexuel ; elle n’acquit ce caractère que plus tard, et graduellement, à mesure que la puberté s’avançait. À ce moment, une sélection se fit ; la main masculine l’intéressa beaucoup moins que la main féminine.