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sort de la psychologie normale. Ce qui lui donne, à mon avis, une empreinte pathologique, c’est que l’érection arrive par la seule contemplation de l’objet. Une excitation génitale aussi intense dépasse un peu le taux normal ; mais ce n’est là, nous le verrons, qu’une différence de degré.

Quand une idée obsédante règne dans l’esprit d’une personne, on voit souvent une foule d’autres idées s’orienter autour de l’obsession, qui détermine consécutivement une modification considérable du caractère et de la personnalité de l’individu.

Chez le sujet dont je parle, la modification du caractère est peu profonde, parce que l’obsession n’est pas toute-puissante. Il a seulement une façon piquante de faire la cour à une femme ; rien ne le désole comme le gant ; quand il s’adresse à une femme gantée, c’est comme s’il faisait la cour à une femme voilée. Quand le gant est tiré, il n’a d’yeux que pour son objet de prédilection. Le prendre et l’embrasser sont ses plus grands plaisirs. Il en résulte que toute son attitude est, en général, celle d’un amoureux soumis plutôt que celle d’un amant impérieux. Le goût qu’il éprouve pour cette extrémité du membre supérieur l’a déterminé à en faire une étude anatomique approfondie. La dissection des muscles, des vaisseaux et des nerfs de la main n’a nullement fait évanouir le charme de l’objet aimé. Mais ce qui l’intéresse le plus, c’est la forme extérieure. Il lui suffit d’avoir vu une main pendant une minute pour ne jamais l’oublier. Il a bien entendu ses idées sur la beauté de cet organe. Ce qui est caractéristique, c’est qu’il n’aime pas les proportions exiguës que l’on recherche en général ; on dit qu’il faut qu’une femme ait le pied et la main petits pour être belle ; le pied lui est égal, mais il veut que la main soit moyenne, et plutôt grande.

Il s’adonne à la chiromancie ; ce n’est pas qu’il y croie beaucoup, mais il y trouve un prétexte commode pour voir des mains de femmes et les étudier dans leurs plus petits détails.

À ce sujet, il m’a encore communiqué une de ces observations qui ne peuvent être faites que par un malade intelligent. L’examen minutieux d’une main ne lui est pas aussi agréable qu’on pourrait le croire ; elle lui cause toujours quelque déception, car la réalité reste toujours inférieure à l’image qu’il s’en était faite.

Nous connaissons tous cette supériorité de l’imagination sur la réalité ; jamais une femme n’est aussi belle que lorsqu’elle nous apparaît dans nos rêveries et dans nos songes. On comprend un peu la conduite de cet amant dont parle Rousseau ; il s’éloignait de sa maîtresse pour avoir le plaisir de penser à elle et de lui écrire.

L’excitation sexuelle que produit chez M. R… la contemplation de