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A. BINET.le fétichisme dans l’amour

démence, et que la démence complète paraît devoir être malheureusement la solution de sa carrière d’érotomane.

Nous reviendrons bientôt sur cette observation, et nous essayerons d’en faire l’analyse psychologique. Pour le moment, nous nous contentons de rassembler les faits.

On remarquera dès à présent que l’observation précédente ne doit pas être confondue avec le joli délire des amoureux. Le malade de M. Ball n’est pas un de ces simples enthousiastes qui chantent les beaux yeux de leur maîtresse. Il ne s’agit point ici de poésie, mais d’une véritable perversion sexuelle qui a conduit le sujet à la démence.

Après l’amant de l’œil, voici l’amant de la main. Ce dernier est très fréquent, si j’en crois mes nombreuses observations. Je choisis la suivante, qui est plus complète et plus riche en détails que les autres. Si je réunis un jour ces études en volume, je ferai connaître tous les documents que j’ai recueillis ; pour le moment, je me borne à l’essentiel.

L’observation suivante a trait à un jeune homme que j’ai connu pendant mes années de médecine. M. R… est grand, il n’a pas d’asymétrie faciale, pas de prognathisme ; le front est large, bien découvert ; la tête est brachycéphale. Au moral, il est intelligent, doué d’une imagination très vive ; son caractère est doux, ses relations sont faciles ; il est affectueux, tendre, charitable ; ajoutons qu’il a, de son propre aveu, un tempérament sensuel.

Sa famille, sur laquelle il m’a donné des renseignements circonstanciés, est entièrement composée, sans aucune exception, de névropathes. Mais ce ne sont pas des névropathes bruyants, ce sont ce que l’on a coutume d’appeler des personnes nerveuses, ne présentant d’autres signes connus de névropathie que la forme du caractère, vif, emporté, facilement énervé et changeant brusquement pour une cause futile.

Il adore les femmes ; mais dans la femme, ce qu’il préfère à tout le reste, même à l’expression de la physionomie, c’est la main ; la vue d’une jolie main détermine chez lui une curiosité dont la nature sexuelle n’est pas douteuse, car en se prolongeant elle provoque l’érection. Toute main indistinctement n’est pas capable de produire chez lui une réaction sexuelle. Il faut éliminer tout de suite les mains d’hommes, les mains d’enfants et les mains des personnes âgées. Chose curieuse, les mains vieilles, ridées et flétries, les mains rouges d’une fricoteuse, les mains jaunes et maladives d’un cachectique, lui inspirent un dégoût insurmontable.

Tel est le fait, dans toute sa simplicité. Avant de le compléter par de nouveaux détails, je tiendrais à marquer le point par lequel il