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tique, il faut ranger les fétichistes dans la troisième catégorie, celle de la perversion sexuelle, et créer pour eux une cinquième subdivision, qu’on peut placer à la suite de celle des intervertis.

Nous rappelons enfin que nous étudions ici les faits en psychologue et non en aliéniste. La différence des deux points de vue est facile à saisir. Pour l’aliéniste, le fait capital, c’est la relation du symptôme à l’entité morbide. L’étude de cette relation a conduit, comme on sait, Morel, M. Falret, et surtout M. Magnan, à considérer la plupart des symptômes que nous allons étudier comme des épisodes de la folie héréditaire des dégénérés. Pour le psychologue, le fait important est ailleurs ; il se trouve dans l’étude directe du symptôme, dans l’analyse de sa formation et de son mécanisme, dans la lumière que ces cas morbides font sur la psychologie de l’amour.

I

Le fétichisme de l’amour se présente sous bien des formes ; mais toutes ces formes se ressemblent ; en connaître une, c’est les connaître toutes ; ce sont comme des variations infinies sur un thème unique. Nous étudierons successivement : 1o l’amant de l’œil ; 2o l’amant de la main ; 3o l’amant des cheveux ; 4o l’amant de l’odeur. Dans ces quatre cas, le fétichisme, qui souvent ne se distingue de l’état normal que par des nuances insensibles, a pour objet une partie du corps de la personne aimée. C’est l’amour plastique.

Chacun a en amour ses goûts particuliers ; c’est même un sujet habituel de conversation ; telle personne aime la beauté blonde, telle autre la beauté brune ; celui-ci est pour les yeux bleus, celui-là pour les yeux noirs. Certaines personnes avouent que, ce qu’elles préfèrent c’est la taille ; d’autres, c’est le pied ; d’autres la nuque.

Les causes de ces préférences sont multiples. Condillac en signale une, l’association des idées.

« Les liaisons d’idées influent infiniment sur toute notre conduite. Elles entretiennent notre amour ou notre haine, fomentent notre estime ou notre mépris, excitent notre reconnaissance ou notre ressentiment, et produisent ces sympathies, ces antipathies et tous ces penchants bizarres dont on a quelquefois tant de peine à rendre raison[1] ». À l’appui, Condillac cite une observation relative à Descartes ; cette observation est un exemple du besoin si commun qu’on éprouve de retrouver chez des femmes ce que l’on a aimé chez

  1. Art de penser, ch.  v.