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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

d’autres idées. Par delà le sens exprimé il faut remonter à la conception que l’auteur a voulu exprimer, percer l’allégorie, la plaisanterie ou l’allusion.

6o Quand on a atteint le sens qu’a voulu exprimer l’auteur, on ne connaît encore que la conception qui lui a traversé l’esprit au moment où il produisait le document. Derrière cet état passager on cherche l’état d’esprit durable : on remonte du sens conçu par l’auteur à sa croyance réelle.

7o La croyance a toujours une cause. Mais cette cause peut être soit l’état subjectif de l’auteur (une hallucination ou un préjugé), soit une action du dehors. L’historien doit rapporter la croyance à l’une de ces causes. Si elle est produite par une disposition personnelle, elle ne peut servir qu’à connaître l’état de l’auteur, et le travail s’arrête. Les récits faits par Luther de ses luttes avec le diable indiquent seulement que Luther se croyait obsédé par le diable.

8o Si la croyance est venue du dehors, elle peut reposer soit sur l’affirmation d’un autre homme, soit sur une impression personnelle de l’auteur. L’historien doit chercher de quelle nature a été l’action du dehors. Si c’est l’affirmation d’un autre homme, le document sur lequel on opère n’est plus qu’un document de seconde main ; il ne renseigne directement que sur l’affirmation elle-même, il prouve seulement que l’auteur affirme avoir lu ou entendu une chose. Quant au fait affirmé, on ne peut l’atteindre que par un nouveau travail, en remontant aux paroles ou aux écrits qui ont servi de documents à l’auteur.

9o Si la croyance résulte d’une impression faite sur l’auteur par les faits, on passera de l’impression perçue par l’auteur au fait qui l’a produite. C’est la dernière étape : la perception étant un procédé direct de connaissance, l’historien ne peut remonter au delà.

Cette suite d’opérations sert à tirer du document la connaissance de faits passés, mais elle ne renseigne pas sur la place qu’ils ont occupée dans le monde. Ces faits restent suspendus sans qu’on sache à quel point du temps ou de l’espace ils se sont produits. Or ce qu’on cherche, ce n’est pas si tel fait s’est passé, mais en quel temps et dans quel lieu. Un vase trouvé en terre est toujours un document sur l’art d’un potier, mais un document inutile si on ignore en quel temps travaillait ce potier. Il faut pouvoir localiser tout document dans le temps et dans l’espace : c’est ce qu’on appelle déterminer sa provenance. La question de temps et de lieu s’impose à toute science qui cherche à localiser les faits, aux sciences naturelles comme à l’histoire. Mais l’historien opère sur des faits psychologiques ; il a besoin en outre de pouvoir attribuer les phénomènes à l’esprit