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LE FÉTICHISME DANS L’AMOUR


Le fétichisme, ce que M. Max Muller appelle dédaigneusement le « culte des brimborions », a joué dans le développement des religions un rôle capital. Quand même il serait vrai, comme on l’a prétendu dernièrement, que les religions n’ont pas commencé par le fétichisme, il est certain que toutes le côtoient, et quelques-unes y aboutissent. La grande querelle des images, qui a été agitée dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, qui a passé à l’état aigu à l’époque de la réforme religieuse, et qui a produit non seulement des discussions et des écrits, mais des guerres et des massacres, prouve assez la généralité et la force de notre tendance à confondre la divinité avec le signe matériel et palpable qui la représente. Le fétichisme ne tient pas une moindre place dans l’amour ; les faits réunis dans cette étude vont le montrer.

Le fétichisme religieux consiste dans l’adoration d’un objet matériel auquel le fétichiste attribue un pouvoir mystérieux ; c’est ce qu’indique l’étymologie du mot fétiche ; il dérive du portugais fetisso, qui signifie chose enchantée, chose fée, comme l’on disait en vieux français[1] ; fetisso provient lui-même de fatum, destin. Pris au figuré, le fétichisme a un sens un peu différent. On désigne généralement par ce mot une adoration aveugle pour les défauts et les caprices d’une personne. Telle pourrait être, à la rigueur, la définition du fétichisme amoureux. Mais cette définition est superficielle et banale ; elle ne peut nous suffire. Pour la préciser un peu, nous nous bornerons à mettre sous les yeux du lecteur certains faits qui peuvent être considérés comme la forme pathologique, c’est-à-dire exagérée, du fétichisme de l’amour.

MM. Charcot et Magnan ont publié les meilleures observations de fétichisme, et notre étude ne sera qu’un commentaire de ces observations, auxquelles nous en avons joint de nouvelles ; elles sont rela-

  1. Maury, la Magie et l’Astrologie, ch.  i. M. Max Müller rattache le mot fétiche, toujours par l’intermédiaire du portugais fetisso, au mot latin factitius, chose factice, sans importance.