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M. Wundt, à son tour, démontre que si les idées morales évoluent, leur évolution se fait suivant des lois que la science peut déterminer, et il fait de la détermination de ces lois le premier problème de l’éthique.

Il est cependant un point où M. Wundt laisse légèrement régresser l’idée que relie les unes aux autres toutes ces théories.

Nous avons vu en effet que pour tous ces moralistes la fonction essentielle de la morale était d’adapter les individus les uns aux autres, d’assurer ainsi l’équilibre et la survie du groupe. Chez M. Wundt, elle ne garde ce caractère que d’une manière un peu effacée. Sans doute elle reste une condition nécessaire à l’existence des sociétés, mais c’est accidentellement et par contre-coup. Le véritable objet de la morale est de faire sentir à l’homme qu’il n’est pas un tout, mais la partie d’un tout et combien il est peu de chose au regard des milieux indéfinis qui l’enveloppent. Comme la société se trouve être l’un de ces milieux et l’un des plus immédiats, la morale a pour conséquence de la rendre possible ; mais c’est, pour ainsi dire, sans le vouloir et comme en passant. La morale résulte des efforts que fait l’homme pour trouver un objet durable où il puisse s’attacher et goûter un bonheur qui ne soit pas passager. Une fois que, s’étant dépris de lui-même, il s’est mis à cette recherche, les premiers objets de cette nature qu’il a rencontrés sont la famille, la cité, la patrie, et il s’y est arrêté. Toutefois ils n’ont pas pour cela de valeur par eux-mêmes, mais seulement parce qu’ils symbolisent, d’une manière d’ailleurs imparfaite, l’idéal qu’il poursuit. En un mot, comme les sociétés sont un des moyens par lesquels le sentiment moral se réalise, il les suscite chemin faisant, et du même coup les instincts et les penchants qui en sont la condition. Mais ceux-ci ne sont jamais qu’une des phases transitoires par lesquelles il passe, une des formes qu’il traverse successivement.

Mais alors il y a une des propriétés essentielles de la morale qui devient inexplicable : c’est sa force obligatoire. M. Wundt reconnaît en principe ce caractère, mais il faut dire d’où la morale tient une telle autorité et au nom de qui elle commande. C’est au nom de Dieu, si on y voit une consigne que nous a donnée la divinité ; c’est au nom de la société, si elle consiste dans une discipline sociale ; mais si elle n’est rien de tout cela, on ne voit plus d’où peut lui venir le droit de donner des ordres. On dira qu’il est logique que la partie se soumette au tout ? Mais la logique mène seulement l’esprit, non la volonté : le but de notre conduite n’est pas le vrai, mais l’utile ou le bien. On nous assure, il est vrai, que nous trouverons notre compte à cette soumission qui doit nous rendre heureux. Soit, mais le seul