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Forme objective. — Tu dois te sacrifier pour le but que tu as reconnu comme ton idéal moral.

Cette analyse a, pensons-nous, vérifié ce que nous annoncions d’abord, et l’ouvrage de M. Wundt doit maintenant apparaître au lecteur comme une tentative pour concentrer tous ces efforts isolés dont il était question dans le précédent article. Les enseignements du socialisme de la chaire, les données de la Völkerpsychologie, quelques vues de M. Ihering forment la trame de la doctrine. On y sent aussi, il est vrai, une influence d’une origine un peu différente. Cette masse imposante de faits est animée d’un souffle d’idéalisme que l’auteur déclare tenir de Kant, quoiqu’il semble n’avoir rien de bien particulièrement kantien. Pour Kant en effet l’impératif catégorique n’a rien de vague ni d’indéterminé ; ses commandements sont très précis, et il parle avec la même clarté à l’ignorant et à l’homme de génie. Aussi est-ce plutôt à Fichte que nous pensions, tandis que M. Wundt nous parlait de cet idéal moral indéfini et indéfinissable dont quelques rares esprits parviennent seuls à prendre conscience. En tout cas, que cet idéalisme rapproche M. Wundt de Kant ou de Fichte, il n’a certainement rien de transcendantal ni de mystique ; il ne consiste pas dans une intuition de l’au delà, dans une échappée sur l’infini, mais seulement dans une anticipation de l’expérience ; c’est un postulat dont l’auteur a besoin pour expliquer les faits. Sa doctrine prend de cette manière un air plus complexe et un caractère plus éclectique encore ; mais elle reste un essai de morale expérimentale, quelle que soit d’ailleurs l’ampleur peut-être excessive des conclusions.

Elle réalise un double progrès sur les morales précédentes que nous avons exposées.

Nous avons vu quelle influence la plupart de ces moralistes attribuaient au calcul et à la volonté dans l’évolution des idées morales. Les grandes institutions de la morale et de la société auraient été, en partie du moins, des créations réfléchies. Or si c’est la réflexion qui a construit le monde social, elle peut le reconstruire ; s’il est un produit de la logique, la logique peut le reproduire. En d’autres termes, pour savoir comment il est fait, l’esprit n’a qu’à se demander comment il s’y est pris pour le faire ; l’observation est inutile et la déduction suffit. Observer, expérimenter, c’est nous résigner à modeler nos idées sur les choses ; mais une telle méthode n’est nécessaire que si les choses ne suivent pas toujours les lois de l’entendement. Aussi, quoique cette école de moralistes se fasse remarquer par une véritable horreur pour les abstractions logiques et un sentiment pro-