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sur les conceptions de l’auteur : il peut aussi éclairer ses croyances, ses perceptions, les faits extérieurs qui les ont produites.

Dans cette série de connaissances de plus en plus éloignées du point de départ, on n’atteint une connaissance qu’en passant par les précédentes. Un renseignement sur une espèce de faits n’est acquis qu’au moyen de renseignements sur des faits de l’espèce précédente. Pour tirer d’un procès-verbal la connaissance des faits qu’il rapporte, il faut traverser l’écriture, le style, la conception, les croyances, les observations de l’auteur avant d’arriver aux faits qu’il a vus.

Si l’on veut déterminer les opérations auxquelles on doit soumettre un document pour en dégager une connaissance, il suffit de reprendre en sens inverse la série des opérations qui ont donné naissance au document. L’historien refait, en partant du document pour arriver au fait qui l’a produit, le chemin que l’auteur a parcouru pour aller du fait à la production du document.

1o On observe l’objet matériel qui fait le corps du document. C’est le point de départ commun à tout travail historique.

2o Du fait observé on remonte à l’acte humain qui l’a produit, de l’édifice ou de la statue aux procédés de l’architecte ou du sculpteur, de l’écrit aux procédés du calligraphe. Si le document n’a pas de sens symbolique, le travail s’arrête là.

3o Si l’objet est symbolique, par delà l’acte de l’auteur on remonte au signe qu’il a voulu produire.

4o Du signe on remonte à la représentation qui a guidé la main de l’auteur. Si le document est figuré, on va directement de l’image tracée à l’image qu’a conçue le peintre. Si le document est idéographique, on va aussi du signe à l’idée, mais au moyen de la connaissance des conventions de l’écriture. Si le document est rédigé en écriture phonétique, il exige deux opérations : on remonte d’abord du signe écrit au signe parlé, on déchiffre, c’est-à-dire on va de l’écriture aux mots ; puis on remonte du signe parlé à l’idée, on interprète, c’est-à-dire on va des mots à l’idée. Ces opérations mènent jusqu’à la conception de l’auteur. Souvent on ne pénètre pas plus loin ; derrière l’image que l’auteur a représentée on ne peut atteindre avec précision aucune cause ; c’est le cas ordinaire des monuments figurés.

5o Au delà de la représentation manifestée par le document, la marche devient très incertaine. La représentation peut n’être pas celle que l’auteur a réellement voulu exprimer. Il peut avoir exprimé une idée pour en faire comprendre une autre. C’est le procédé de l’allégorie, de la plaisanterie, des allusions et de toutes les figures de rhétorique ; les idées exprimées servent en ce cas de symbole à