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morale. Cette représentation est obscure et incomplète dans les motifs de la perception, plus réfléchie et plus exacte dans les motifs de l’entendement ; ce n’est que dans les motifs rationnels qu’elle arrive à la pleine conscience d’elle-même. Ici, le motif coïncide avec la fin.

Les normes. Mais les fins morales ont ce caractère particulier qu’elles sont conçues comme obligatoires. Un esprit normal ne peut se les représenter sans penser aussitôt qu’elles doivent être réalisées. En d’autres termes, la conception de ces fins n’est pas le fait primitif de la conscience ; mais elles ne nous sont données qu’impliquées dans des jugements d’un caractère impératif. L’analyse les en dégage et les isole ; mais en cet état elles ne sont que de savantes abstractions. Ce qui est vraiment premier et concret dans la vie morale, ce sont ces normes, ces commandements dont tout le reste est dérivé.

Comment de pareils jugements sont-ils possibles ? On y a vu des ordres souverains d’une puissance mystérieuse qui parle et qui commande en nous. De pareilles explications, quelque forme qu’on leur donne, sont aujourd’hui sans valeur, car elles supposent que la loi morale est immuable et comme pétrifiée depuis l’éternité et pour l’éternité, alors que nous savons les idées morales soumises à l’évolution. C’est d’ailleurs une erreur de croire qu’il faille toute une machinerie spéciale et extraordinaire pour amener les hommes à reconnaître une proposition comme universelle et inconditionnée. Les jugements moraux ne sont pas les seuls qui aient été mis au-dessus du doute ; il en a été, il en est de même encore de beaucoup d’autres, qui parfois ne doivent ce caractère qu’à de bien pauvres et bien futiles motifs. Nous retrouvons ici une application particulière de la grande loi de l’hétérogénéité de la cause et de l’effet. Le caractère obligatoire qui distingue les maximes morales résulte de causes qui n’ont guère de rapports avec les effets qu’elles produisent.

Ce sont, en effet, des motifs parfaitement intelligibles qui donnent aux fins morales une telle autorité. Il y en a quatre espèces différentes, qui marquent comme des degrés différents, mais de plus en plus élevés dans l’échelle de la moralité. À cause de leur nature impérative, l’auteur les appelle des motifs impératifs. Il y a d’abord la crainte de la contrainte, et particulièrement de la contrainte extérieure et matérielle : c’est la forme la plus basse du caractère moral, mais elle suffit à assurer la stricte légalité des actions. Au-dessus il y a la contrainte interne et morale qu’exercent sur chacun de nous l’opinion publique et le respect que nous en avons. Tels sont les deux impératifs de la contrainte (die Imperative des Zwangs) ; bien.