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lier ; mais elle ne peut avoir pour objet que l’esprit universel de l’humanité et ne peut susciter que des œuvres intellectuelles d’une portée tout à fait générale (Allgemeine geistige Schofpfüngen). On trouvera la définition peu précise, et, en effet, l’idéal humain ne peut pas être défini. Il exprime simplement ce fait qu’aucune expression particulière de l’idéal ne peut satisfaire définitivement les sentiments moraux de l’humanité. Chaque pas qu’elle fait en avant l’entraîne plus loin qu’elle ne prévoyait elle-même, et tout nouveau progrès lui inspire de nouveaux besoins. L’idée qu’elle réalise ne sera donc jamais achevée et la tâche qu’elle a devant elle est illimitée. S’élever au sentiment de l’idéal, c’est donc dégager l’objet de la morale de toutes les conditions de temps et d’espace qui le particularisent pour l’embrasser dans son universalité et dans son infinitude. Aussi n’y a-t-il que quelques rares esprits qui soient parvenus à cette haute conception. Seuls des hommes extraordinaires comme Moïse, Socrate ou le Christ ont su vivre pour tous les temps et tous les pays, et c’est pourquoi leur action a laissé des traces qui ne disparaîtront pas tant que l’humanité aura une histoire. Quant à la moyenne des hommes, ils n’agissent qu’en vue de fins plus prochaines et leur regard ne s’étend guère au delà du petit monde où ils vivent.

Telle est la fin de la morale ; mais quels sont les motifs qui nous poussent à la réaliser ? On se rappelle pourquoi les deux questions sont distinctes.

Les motifs. Tout motif est un sentiment ; mais tout sentiment est déterminé par une représentation et varie avec le genre de représentation qui le détermine. Tantôt celle-ci consiste simplement dans une perception sensible qui suscite immédiatement le sentiment, sans qu’il y ait place pour la réflexion ou le calcul. Par exemple, la vue d’un homme en danger éveille aussitôt en nous un sentiment de pitié active qui nous incite à lui porter secours. À ces motifs M. Wundt donne le nom de Wahrnemungsmotive (motifs de perception). Ils peuvent ètre rapportés à deux types principaux : le sentiment de soi-même ou de la dignité personnelle et la sympathie (das Selbstgefühl, das Mitgefühl). Mais lorsque la conduite à tenir n’est pas claire, lorsqu’il y a un conflit entre nos devoirs, tout ne se passe pas avec cette rapidité. Entre la représentation et le sentiment s’intercale toute une suite de représentations logiquement liées les unes aux autres, une délibération plus ou moins longue. Alors naissent des sentiments nouveaux, car ils résultent, non d’une vue instantanée des choses, mais de la représentation des fins prochaines de l’action. Ils peuvent, eux aussi, être rapportés à deux types qui