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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

peut être l’origine de ce document, il n’en est jamais la cause ; il est tout au plus la cause d’un fait psychologique qui seul est la cause directe. Aussi le fait matériel relaté dans un document n’est-il jamais lié à ce document par un lien direct. Deux liens différents rattachent, l’un le document à la pensée de l’auteur, l’autre la pensée de l’auteur au fait extérieur. Ces deux liens ont chacun un de leurs bouts dans le monde extérieur d’un côté le signe matériel contenu dans le document et qui manifeste l’impression de l’auteur, pénètre dans le monde extérieur présent ; de l’autre côté le fait matériel qui jadis produit l’impression de l’auteur pénètre dans le monde extérieur passé. Les deux autres bouts se trouvent dans l’esprit de l’auteur : ce sont la pensée qui est la cause du document, l’impression qui est l’effet du fait matériel. Ces deux bouts peuvent être rattachés l’un à l’autre par l’opération qui transforme une impression ressentie en une pensée exprimée ; les deux bouts opposés se trouvent alors reliés et font communiquer le monde extérieur présent où vit l’historien avec le monde extérieur passé où a vécu l’auteur. Ainsi l’on peut remonter du document à l’impression de l’auteur et redescendre de là au fait extérieur passé ; mais ce chemin passe forcément par l’esprit de l’auteur. Les matériaux de la connaissance historique sont les produits d’opérations psychologiques, la connaissance historique ne peut se former qu’en reconstituant ces opérations au moyen de connaissances psychologiques.

III

Cette analyse des opérations qui produisent les documents montre quels sont les faits dont ces documents peuvent donner la connaissance. Puisque le document est le produit d’une série d’opérations, il peut renseigner sur chacune des opérations qui ont concouru à le produire.

Le document matériel renseigne sur l’acte matériel qui l’a créé, un édifice romain fait connaître les matériaux et les procédés de l’architecte romain. (Tout document peut fournir un enseignement de ce genre, un écrit même renseigne sur l’encre et le papier).

Le document symbolique renseigne en outre sur les symboles employés et sur les états d’esprit qu’il symbolise. Si c’est un document figuré, il montre les formes employées par l’artiste et l’image qu’il s’est représentée ; il peut aussi renseigner sur les objets copiés par l’artiste. Un document écrit renseignera sur les signes graphiques, c’est-à-dire l’écriture ; sur les signes phonétiques, c’est-à-dire la langue ;