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DURKHEIM.la morale en allemagne

II. Éléments matériels. — Si le contenu des idées morales renferme des éléments qui se retrouvent à toutes les périodes de l’histoire, ils ne peuvent consister que dans certains faits psychologiques qui dérivent de la nature de l’homme en général. Car celle-ci seule reste partout identique à elle-même sous l’extrême mobilité des changements historiques. En fait, nous avons vu que toute la vie morale était mue par deux grandes tendances, le penchant à la sympathie et le sentiment du respect (die Ehrfurchtsund die Neigungsgefühle). Le premier de ces sentiments dérive des croyances religieuses, le second de la vie sociale. Mais peu à peu ils se combinent de mille manières et de ces combinaisons sort toute la complexité des idées morales.

Lois générales de l’évolution morale.

Il y en a deux :

I. Loi des trois stades. — Les débuts de la vie morale présentent une très grande homogénéité ; les penchants sociaux sont très simples et aussi très faibles. Dans la deuxième période, les sentiments sociaux se différencient et il se produit une dissociation spontanée des idées morales, die Trennung der sittlichen Begriffe. Enfin le troisième stade est l’âge de la synthèse et de la concentration.

II. Loi de l’hétérogénie des fins (Das Gesetz der Heterogenie der Zwecke). C’est le principe le plus général de toute cette évolution et celui auquel l’auteur semble attacher le plus d’importance.

Toute action volontaire produit des conséquences qui dépassent toujours plus ou moins les motifs qui l’ont déterminée. Quand nous prenons conscience de ces suites que nous n’avons pas prévues, elles deviennent le but d’actions nouvelles et donnent naissance à de nouveaux motifs. Ceux-ci à leur tour produisent des effets qui de nouveau les dépassent et ainsi indéfiniment. On peut donc ériger en principe que le résultat de nos actions n’en est jamais le véritable motif ; et pour la même raison on peut être assuré que le motif qui inspire aujourd’hui telle de nos actions n’a pas été celui qui l’a déterminée dans le principe. Quand un corps tombe dans une masse d’eau tranquille, on voit une onde circulaire se dessiner à la surface, puis donner naissance à une autre plus grande et qui l’enveloppe. En même temps la première s’étend et semble chercher à gagner la seconde ; mais avant qu’elle l’ait rejointe celle-ci est bien loin, et déjà une troisième onde s’est formée qui fuit à son tour quand la seconde cherche à la rejoindre. Les idées morales se développent de même. Les résultats de nos actions s’étendent toujours au delà du motif et,