Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
revue philosophique

l’idéal unique de l’humanité. En d’autres termes, en même temps que les morales de classes et de castes disparaissent, disparaissent aussi les morales nationales pour faire place enfin à la morale humaine.

Quant à la civilisation, elle a sur cette tendance une influence très complexe. Sans doute le perfectionnement des moyens de transport et de communication n’a pas peu contribué à accélérer ce mouvement de concentration ; les progrès de l’outillage ont déchargé les hommes de ce travail mécanique qui était pour le développement de l’esprit d’un poids écrasant ; la culture générale s’est répandue dans des classes où elle n’avait pas pénétré jusqu’ici et l’État prend soin maintenant de l’exiger des citoyens. Mais elle reste encore bien inégalement répartie ; la rapidité des communications, en étendant indéfiniment les marchés et en rendant chaque fortune particulière solidaire d’une infinité de causes très complexes, exige de chacun de nous des efforts de prévision et une dépense de travail dont jadis on n’avait pas besoin pour vivre. Enfin l’organisation actuelle de l’industrie a pour effet de séparer de plus en plus les entrepreneurs des travailleurs et de faire renaître l’esclavage sous une forme nouvelle. C’est qu’en effet la civilisation n’est pas chose morale par elle-même ; elle renferme des éléments de toute sorte et a pour la morale autant d’avantages que d’inconvénients. Bien entendu ce n’est pas une raison pour ramener l’humanité en arrière — entreprise ridicule autant qu’absurde — car le monde va invinciblement en avant et il est impossible de l’en empêcher. Si la civilisation a ses imperfections et ses dangers, il faut simplement les prendre corps à corps et chercher à s’en débarrasser.

Cette analyse historique des idées morales, qui occupe près de la moitié de l’ouvrage, peut être résumée dans les quelques propositions suivantes :

Éléments de la moralité.

Les éléments communs à toutes les conceptions morales sont les suivants :

I. Éléments formels. L’idée morale s’exprime partout sous forme de concepts antithétiques auxquels sont attachés des jugements d’approbation et de désapprobation.

Les biens auxquels les hommes reconnaissent une valeur morale positive sont ceux qui procurent une satisfaction durable. C’est cette idée de la durée qui s’exprimait sous la forme des croyances religieuses relatives à l’autre vie.