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DURKHEIM.la morale en allemagne

et sur l’ordre des choses, ce qui fait qu’on a pris parfois la religion pour une sorte de métaphysique naïve. On y trouve aussi des règles de conduite tant privée que publique, et c’est pourquoi certains philosophes ont fait de la religion une discipline morale et sociale. Toutes ces théories prennent pour la religion différents phénomènes auxquels elle est accidentellement mêlée. Pour échapper à cette erreur, il faut aller l’étudier chez les peuples cultivés, parce que là elle s’est dégagée de tous les éléments adventices auxquels elle était d’abord unie. C’est seulement ensuite que, se reportant aux religions primitives, on aura quelque chance d’y distinguer le germe de ces idées et de ces sentiments que les religions ultérieures nous offrent à l’état d’achèvement.

Or si on suit cette méthode, on arrive, suivant M. Wundt, à la conclusion suivante : « Sont de nature religieuse toutes les représentations et sentiments qui se rapportent à une existence idéale parfaitement conforme aux vœux et aux désirs du cœur humain » (p. 41). Cet idéal varie avec les temps ; il peut être, suivant les peuples, naïf ou raffiné, grossier ou sublime. Mais on peut assurer qu’il n’y a jamais eu d’hommes qui se soient complètement passés d’un idéal, si humble soit-il ; car il correspond à un besoin profondément enraciné dans notre nature. On comprend dès lors quelle relation il y a entre la morale et la religion. Assurément l’idéal religieux est loin d’être par cela même un idéal moral ; il renferme au contraire bien des éléments immoraux ou amoraux. N’a-t-on pas vu les hommes vénérer dans la personne de leurs dieux les pires vices de l’humanité ? Il n’en est pas moins vrai que l’idéal moral a une tendance à s’exprimer sous la forme de l’idéal religieux. En effet tout ce qu’il y a d’essentiel, de vraiment religieux dans la religion, c’est la conception de divinités qui sont proposées comme des modèles à l’imitation des hommes et que l’on regarde en même temps comme les soutiens de l’ordre idéal dont ils sont les représentants. Or la morale, elle aussi, a besoin de personnifier son idéal et de lui assurer la garantie d’une sanction. Voilà comment il se fait que les idées morales et les idées religieuses sont à l’origine si étroitement entrelacées qu’il est impossible de les distinguer.

Il est vrai qu’à la longue cette dissociation s’accomplit. Mais les rapports entre la morale et la religion n’en restent pas moins étroits et pour une autre raison. À mesure que la morale se détache de la religion, la religion semble faire effort pour se rapprocher de la morale. Elle modifie, elle moralise si bien ses concepts qu’ils restent pour l’éthique d’utiles auxiliaires. Quoique, grâce au culte des ancêtres, les divinités même les plus primitives aient eu quelque