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spécifique ; ce serait la réduire de parti pris à n’être qu’un événement de la conscience individuelle ; ce serait statuer de prime abord l’individualisme. Il n’y a qu’un moyen de connaître les phénomènes collectifs : c’est de les étudier en eux-mêmes. En d’autres termes c’est la psychologie sociale (die Völkerpsychologie) qui seule peut fournir au moraliste les matériaux dont il a besoin ; elle est le vestibule de l’éthique (die Vorhalle der Ethik). C’est dans l’histoire des langues, des religions, des mœurs, de la civilisation en général, que nous pourrons retrouver les traces d’un développement dont les consciences particulières ne contiennent et ne connaissent que les ressorts initiaux.

Quatre principaux facteurs ont déterminé la genèse de la morale :

1o Les religions ;

2o Les mœurs ;

3o Le milieu physique ;

4o La civilisation en général.

Mais les deux premiers ont été de beaucoup les plus importants.

La religion. Il n’est pas plus juste de faire sortir la religion de la morale, que la morale de la religion. À l’origine, droit, morale et religion sont confondus dans une sorte de synthèse dont il est impossible de dissocier les éléments. Aucun de ces phénomènes n’est antérieur à l’autre ; mais ils se sont successivement dégagés de cette espèce de mélange indistinct où ils préexistaient à l’état de germe. Voilà comment il se fait que pendant longtemps le pouvoir législatif et le soin de veiller aux bonnes mœurs sont autant de fonctions qui reviennent au prêtre. Au reste, nous avons un frappant exemple de cette confusion primitive dans le Décalogue, où l’on trouve ordonnés à la fois le respect du sabbat et le respect de la vie et de la propriété d’autrui. Et encore le Décalogue révèle-t-il une légère tendance à la différenciation ; car tandis que les cinq premiers commandements sont d’ordres éthico-religieux, les cinq derniers sont de véritables prescriptions juridiques.

Mais pour que la morale et la religion puissent à ce point se confondre, il faut qu’il y ait entre elles quelque trait commun. Qu’est-ce donc que la religion ? Pour répondre à cette question, on a observé de préférence les religions des peuples primitifs, parce qu’elles étaient plus simples et qu’on espérait ainsi pouvoir y démêler plus aisément les caractères essentiels du phénomène religieux. Malheureusement les mythologues en procédant ainsi ont pris pour de la simplicité ce qui n’était que de la complexité confuse. La mythologie primitive est un mélange de toute sorte d’éléments hétérogènes. On y trouve des spéculations métaphysiques sur la nature